LeTemps.ch, 1 février 2008
Julian Sykes
CLASSIQUE. Le chanteur munichois au physique de latin lover sort son premier album. Rencontre.
Jonas Kaufmann, ténor par-dessus tout
Physique de latin lover, barbe de trois jours... Naturellement bien bâti, Jonas Kaufmann a le profil idéal du ténor qui se vend. Decca, major spécialisée dans les voix, a pris le félin dans ses rets. Par bonheur, ce Munichois n'est pas dupe. Courtisé par plusieurs maisons de disques, il a refusé des offres trompeusement alléchantes et écouté sa copine Renée Fleming: «Ne te fais pas avoir, enregistre le grand répertoire classique, parce que sinon ils vont t'enfermer dans le cross-over...»

Jonas Kaufmann, 38 ans, père de famille, a la tête sur les épaules. Ce ténor n'est pas qu'une bête de scène: il cherche à être crédible dans ses incarnations à l'opéra. Et puis la voix a du lustre, de l'ampleur, avec une touche barytonale qui lui permet d'embrasser un vaste répertoire.

En quelques années, Jonas Kaufmann est devenu une vedette planétaire. Il chante au Metropolitan Opera de New York, à la Scala de Milan, au Covent Garden de Londres (Carmen), à l'Opéra Bastille à Paris, à l'Opéra de Zurich dont il est l'hôte régulier, aux côtés de vedettes féminines comme Renée Fleming, Angela Gheorghiu, Anna Caterina Antonacci.

A Genève, il laisse un souvenir éblouissant dans La Damnation de Faust d'Olivier Py en 2004. «C'est peut-être la production la plus spectaculaire que j'ai faite. Olivier Py a su diriger les danseurs, il n'a pas utilisé la vidéo dont tant de metteurs en scène abusent.» Capable à lui seul d'habiter la scène, le ténor a l'art de se donner entièrement. Il est insatiable, et pratique un répertoire si éclectique (Monteverdi, Mozart, Beethoven, Puccini, Verdi, Wagner...) qu'on peut se demander s'il ne tombera pas bientôt du haut de son échelle dorée à force d'exposer sa voix à des rôles si diversifiés, certains écrasants. «On voudrait me cantonner au répertoire allemand. Mais c'est précisément parce que je fréquente aussi l'opéra italien et l'opéra français que je peux élargir ma palette de couleurs et gagner en flexibilité. L'un n'empêche pas l'autre.»

Les maths avant la voix

Cette fidélité à soi, le Munichois l'a conquise de haute lutte. Né dans une famille de mélomanes, où le grand-père se gavait d'opéras de Wagner au piano, le petit Jonas n'a jamais pensé faire carrière dans la musique. Tôt, l'adolescent chante dans des chorales; on lui offre des solos de-ci de-là. Mais il se dit qu'il faut être réaliste («le taux de réussite est si mince»), et jette son dévolu sur les mathématiques, sans perdre de vue la voix. Bien vite, il déchante. Après deux ans à l'université, l'apprenti ténor accède à la Musikhochschule de Munich.

Mais la partie n'est pas gagnée. D'abord parce que sa voix ne s'épanouit que timidement. A peine entré dans la vie professionnelle, il s'aperçoit qu'il ne peut donner libre cours à son juste potentiel. Qu'on l'a formé pour devenir un ténor allemand, alors qu'il a bien plus dans les poumons et les tripes. «J'essayais de manipuler ma voix pour avoir le timbre léger et blanc d'un Peter Schreier. Or ce n'était pas moi.»

A New York, le baryton américain Michael Rhodes l'incite à chanter la bouche ouverte, sans chercher à imiter quiconque. Long parcours, qui aboutira à l'appropriation de son organe et à ses premiers succès à Stuttgart, en Allemagne, puis sur la scène internationale.

En attendant de chanter Des Grieux aux côtés d'Anna Netrebko à Vienne puis de Natalie Dessay à Chicago, et Lohengrin à Munich à l'été 2009, cette âme généreuse est fière de présenter son premier «album». Le titre banal (Romantic Arias) ne saurait masquer un réel talent (chaleur, fougue et sensibilité), même si tous les titres (timbre parfois rêche) ne sont pas idéalement défendus.

Romantic Arias, Jonas Kaufmann. (Decca/Universal)






 
 
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