Olyrix, Le 22/02/2021
Par Ôlyrix
 
 
Jonas Kaufmann avance sur Tristan, revient sur Aïda et la crise
Jonas Kaufmann juste après avoir chanté à Bastille dans la nouvelle production d'Aïda à huis clos et en streaming, revient (en français) sur cette mise en scène, la crise culturelle, annonce une étape australienne vers Tristan, le tout interrogé par Jean-Baptiste Urbain pour France Musique :

Jonas Kaufmann qui est pourtant déjà bien connu pour ses interprétations de Radamès rappelle toutefois qu'il s'agissait à Paris de la première fois qu'il chante et travaille le rôle dans le cadre d'une nouvelle production. L'occasion donc de souligner un élément remarquable supplémentaire de cette nouvelle version (outre le simple fait qu'elle ait pu se produire et se tenir) car comme le dit Jonas Kaufmann, "c'est donc peut-être mon Radamès, sauf que ce n'est pas ma Aïda". Le ténor, tout en diplomatie ou plutôt en noyant dans des éclats de rire les grands bémols que lui inspire visiblement la mise en scène, laisse ainsi bien comprendre la difficulté de chanter pour un mannequin (retrouvez notre compte-rendu avec analyse de cette production, ainsi que la vidéo intégrale).

Jonas Kaufmann fait même le parallèle entre le mannequin de cette mise en scène et la poupée (mais qui elle devient humaine) des Contes d'Hoffmann (opus qu'il n'a pourtant toujours pas chanté après l'avoir annulé à Bastille en 2016, même s'il a fait un drôlatique clin d'œil à la partition en bis d'un récital avec Anita Rachvelishvili pour la Saint-Valentin 2019) :

La nouvelle production à Bastille invite aussi le ténor super-star à parler de la situation pour les artistes et le monde de la culture, en pointant (toujours avec mesure) les contradictions des décisions politiques et (toujours avec empathie) les souffrances des interprètes. L'artiste explique combien l'absurdité de la situation devient de plus en plus criante et insupportable de jour en jour, cette production d'Aïda dans l'immense salle de la Bastille vide (à l'exception de quelques journalistes et invités du protocole) n'étant certainement pas plus dangereuse que les transports en commun ou les grands magasins. Jonas Kaufmann en déduit donc que la logique est purement économique, alors pourtant que la culture est aussi un secteur économique important et surtout que toujours "dans les situations difficiles : le peuple a justement besoin d'oublier, a besoin de quelque chose qui nous aide à nous libérer, à rêver quelques instants." Le risque est donc selon l'artiste que s'écroule l'un des trois piliers de la culture : l'art, aux côtés de la langue et de l'histoire.

Le chanteur lyrique, maître d'un art du temps (la musique) souligne ainsi combien le problème tient à ce que le temps passe sans que les décisions ne changent, et si le théâtre est encore en vie (avec des spectacles qui ont lieu et des aides qui ont été versées, un temps ou partiellement), il ne s'agit que d'un premier pas. "Chaque jour, chaque mois passé rend de plus en plus difficile de maintenir le niveau artistique. Je connais aussi personnellement beaucoup de musiciens qui se sont arrêtés, qui font d'autres métiers pour vivre et en quelques années nous perdons aussi la jeune génération de musiciens, qui se disent que ce métier n'est plus une bonne idée."

L'artiste qui n'a pas cessé de se produire en concerts et en spectacle depuis le début de la crise rappelle qu'il considère cela comme un privilège et invite à penser à tous les interprètes qui ont dû arrêter pour changer de métier, ceux qui se trouvent dans le dénuement ou poussés vers des tragédies absolues (comme il le rappelait le mois dernier en Espagne pour un récital), insistant sur le besoin de soutien financier et de perspectives artistiques et humaines.

Jonas Kaufmann, acclamé sur les plus grandes scènes du monde, est aussi une référence sûre au disque, mais l'artiste relate aussi comment le confinement a influencé ce pan de son métier, l'amenant à enregistrer un album plus intimiste, de Lieder et avec 17 compositeurs différents (Selige Stunde avec son indissociable pianiste Helmut Deutsch). La circonstance exceptionnelle permettant de choisir un projet artistique "plus proche de notre métier d'origine" [par rapport à son disque de Noël, sans doute, ndlr], permettant aussi au ténor de travailler ainsi un programme pour soi et pour la scène (nous en avons rendu compte à plusieurs occasions). L'artiste et aussi père de famille compare ses retrouvailles avec du public au lien qu'il maintient quotidiennement même à distance avec ses quatre enfants : "le besoin d'être ensemble, le moment des retrouvailles est aussi difficile qu'incroyable (et le lien à distance par la vidéo accentue le manque)."

Jonas Kaufmann revient aussi sur son Fidelio à Londres en mars 2020, juste avant la crise et les fermetures, une production dans laquelle il chantait alors qu'il avait le virus mais sans le savoir : même terrassé pendant 12 jours, son docteur refusait de croire à cette pathologie, envisageant plutôt une fièvre, la malaria. Là encore le ténor ne se départit pas de son sens de l'humour, rappelant que le rôle du prisonnier Florestan était une bonne préparation pour le confinement.

Jonas Kaufmann confirme également ses prochains projets et annonce même une étape prévue en Australie dans un chemin très attendu, celui qu'il poursuit vers la prise de rôle de Tristan. Après en avoir chanté l'Acte II en 2018 à Boston et au Carnegie Hall, il annonce qu'il doit se rendre en Australie fin avril pour Tristan en version de concert car les spectacles y ont repris (mais le voyage impose deux fois deux semaines d'isolement, pour l'aller et le retour). Cela dépendra notamment de l'éventuelle annulation du Parsifal à l'Opéra de Vienne en avril, et dans l'optique de la prise du rôle scénique de Tristan, avec la prise du rôle d'Isolde par Anja Harteros, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski programmée à Munich l'été prochain.

Le ténor conclut en expliquant que cette période le ramène à celle de ses débuts où il attendait incertain d'éventuels remplacements (quoique cette indécision a aussi le mérite de remettre en question le système d'organisation des calendriers plusieurs années à l'avance, ôtant de la spontanéité et comme autant de paris incertains sur l'évolution de la voix).






 
 
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