Diapason, juin 2014
par Vincent Agrech
 
Les disques de ma vie - Jonas Kaufmann - Tenor
Nous avions laissé, il y a quelques mois, le ténor le plus aimé du moment sur les souvenirs de son enfance à Munich. Reprenons la conversation où elle s'était achevée : dans le salon d'une famille mélomane.
 
Beethoven, Wagner, Bruckner, Mahler et Rachmaninov constituaient l'essentiel de la discothèque de mes parents : des musiques bien nourrissantes ! Le premier disque qui me vient à l'esprit en évoquant mon enfance, c'est le Ring en studio de Karajan, et ensuite les Wagner de Knappertsbusch. Personne dans ma famille n'était musicien professionnel, mais tout le monde jouait du piano. Je m'installais à côté de mon grand-père. et je regardais, fasciné, tandis qu'il déchiffrait les volets de la Tétralogie à deux kilomètres à l'heure ! C'est d'ailleurs curieux, car une bonne partie de ma vie pourrait se décrire comme une alternance d'attirance et de répulsion entre lenteur et vitesse... Nous étions abonnés à la Philharmonie, où j'ai évidemment eu l'occasion d'entendre très régulièrement diriger Celibidache. Enfant et adolescent, je détestais l'étirement de ses tempos qui me paraissaient vides de sens! Je suis aujourd'hui plus sensible à la densité de ces moments d'apesanteur.

C'est de méme, au fil du temps, que j'ai découvert ce que la direction très solennelle de Klemperer apporte en puissance émotionnelle à son Chant de la terre enregistré avec Christa Ludwig et Fritz Wunderlich, où c'est d'abord le ténor qui m'avait émerveillé ! J'étais étudiant, cette musique était encore à dix mille lieues de mes possibilités, mais je me suis juré de la chanter un jour ! Le génie de Wunderlich tient à cette façon de ne pas laisser perdre un mot ou un accent : jamais l'émotion ne cesse d'irriguer chaque note, avec autant d'intensité que de variété. Il illustre au plus haut point ce qui est pour moi la vertu cardinale de l'interprète: tire toujours aussi honnête que s'il chantait pour b dernière fois de sa vie. J'ai choisi Mahler chez Wunderlich, mais je pourrais parler de même de son air de Lenski... ou de Granada! J'espère qu'on revient aujourd'hui à cet te primauté de l'émotion sur la perfection. A cet égard, les disques des années 1980 me semblent beaucoup plus éloignés de notre sensibilité que ceux d'il y a cinquante ans. L'histoire de l'interprétation est riche de ces mouvements de flux et reflux ! Peu m'importe que la justesse, le rythme ou la fluidité des registres soient irréprochables si l'imagination n'y est pas. Observez ce qui s'est passé pendant quelques décennies avec le violon : la volonté de gommer les reprises d'archet a conduit à un jeu lisse, pauvre en expression ou peu sincère. Certains compositeurs d'aujourd'hui ont sans doute leur part de responsabilité : rien ne sert de satrer les partitions au-delà de ce que le systèr de notation permet, en étouffant les interprètes dans leur liberté et leurs capacit créatives. Autant, sinon, faire jouer la musique par des machines !

Et pour finir sur le balancement du cœur entre rapidité et lenteur, je terminerai, ce qui n'est pas d'u grande originalité dans cette rubrique, me dites-vous, ses les deux versions des Variations Goldberg par Gould. A vin ans, je détestais la seconde, que je jugeais maniérée da ses longueurs, tandis que la concision de la première r?grisait, l'essayais de prendre les mêmes tempos au piar et constater que cela m'était physiquement impassible air sait mon admiration !Aujourd'hui, la profondeur et les su tilités de la seconde en font pour moi le seul disque que ne peux écouter sans fondre en larmes...


 
 






 
 
  www.jkaufmann.info back top