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Classica-Répertoire, juin 2007 |
André Tubeuf |
Jonas Kaufmann
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Le ténor Avenir
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L’hommage d’André Tubeuf |
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Il aborde les opéras allemands, français et
italiens avec la même perfection. A (re)découvrir à Paris dans La Traviata.
Il
est bien pris et même svelte, il est beau. Quand il chante, ses cheveux
noirs portés longs peuvent se rebeller, effet dramatique et charmeur, non
recherché, Il est ténor par-dessus le marché, ténor d'étoffe et de grain
sombre, avec du mordant dans le timbre. Dans la voix et dans l'œil, il a la
passion ; en scène, il est ardent, aisé, immédiat. De naissance, il a tout.
Qu'aurait-il encore à apprendre ? Pourtant Jonas Kaufmann apprend, et nous
en apprend long par sa façon d'apprendre. La patience. La prudence. Le long
chemin. Depuis six, sept ans, on l'observe, on le suit : et on le voit, on
l'entend changer. Pour un observateur pressé, il multiplie les risques. Si
jeune, Florestan ! Parsifal ! La défonce en scène, pis, les rôles
d'endurance, n'est-ce pas vraiment trop tôt ? On objectera que Zurich, son
port d'attache, est une maison de dimension (sinon de qualité et de
prestige) modeste ; l'acteur sur scène s'y voit de près ; il n'a pas à
grossir le trait ; dans la fosse, il peut y avoir un Harnoncourt, un
Welser-Möst : mais le son de l'orchestre restera lucide, personne en scène
n'aura à forcer. Ce n'est pas un hasard si ici même Bartoli a essayé et
réussi l'Elvire, la Fiordiligi qu'elle n'aurait pas osées ailleurs. Jonas,
avec cet ensemble et de tels chefs, que l'a-t-on vu risquer ? Florestan
certes, mais c'est court ; et qui a facile la strette du Donjon, et un
Harnoncourt derrière lui dans «O namenlose Freude» n'a plus qu'à se fier à
sa voix. Parsifal, il le chante comme il le parlerait : privilège d'une voix
mâle, tranchante, de vrai ténor en tessiture, mais qui pourrait être de
baryton par sa richesse centrale, son naturel parlant. Quand il a remplacé
un Huon moins heureux pour l'enregistrement d'Oberon avec Gardiner, on a
entendu les agilités et virtuosités et défis chevaleresques de «From boyhood
trained». Depuis Rosvaenge, cette exigence du chant de Huon n'avait pas été
ainsi honorée.
Né pour flamber, avec ce jarret félin, ou fauve, pourtant c'est un paisible.
Ses 38 ans, sa santé fondamentale (et morale), lui permettent aujourd'hui
d'en faire trop. Mais c'est à bon escient. Il chantait en récital à
Toulouse, les Michelangelo de Britten, des Strauss bien rarement assumés par
un ténor, rien que cela ; puis rentrait à Zurich pour deux Don Carlo : son
emploi exact, où affleure dans la cantilène la même pureté éperdue,
idéaliste que chez Huon. Simple routine pour un troupier comme lui. L'inouï
est qu'il ait pu y intercaler le sauvetage d'une Zauberflöte au lendemain de
sa première : et pas la moindre, avec Harnoncourt, mais selon les exigences
scéniques de Martin Kusej. L'a-t-on compris ? Le type vocal de ténor qu'est
Jonas Kaufmann pourrait avoir déjà tout flambé, en de dévorantes premières
années. Mais par caractère, par goût de l'art, par recherche et curiosité
intellectuelle, c'est un Iate developer, comme disait de lui-même non sans
humour Claudio Arrau, enfant prodige s'il en fut, mais qui mettait tout son
honneur d'artiste à n'avoir su qu'à la quarantaine où il allait vraiment.
Une telle curiosité veut dire lenteurs nécessaires, étude, précaution.
D'autres disent avoir besoin d’arrêter I’opéra d'une façon sabbatique, ou
initiatique peut-être, pour essayer enfin, et pas avant 40 ans, Winterreise.
Schubert n'a pas vécu si vieux, et n'en demande pas tant. Lui se contente de
travailler avec Helmut Deutsch qui sait tout du lied, le sens, le style, le
son. Avec un tel piano la voix doit être velours, et vérité aussi. Leur
Schöne Müllerin de 2003 était inoubliable - un Bildungsroman, roman de
formation, avec la mort au bout. Un autre ténor pourrait grisailler sur tant
de strophes. Pas lui. Il raconte, se prend et nous prend à la narration et
vers la fin déjà nous aura noyés, et pas dans de l'illusion : dans
l'histoire même. L’autre soir, il nous a chanté les Michelangelo de Britten
comme s'ils faisaient suite aux Pétrarque de Liszt, recréés par un timbre et
une discipline de chant de haute école allemande,sans aucune des
idiosyncrasies (admirables) du couple Pears/Britten. Cette couleur, cette
vibration : avec cette facilité là-haut, mais cet engagement dramatique
aussi, jusqu'au-boutisme de l'âme qui trouve à s'incarner dans la voix, ici
c'est Erb évangéliste qui revit pour nous.
Faites seulement, dieux propices du chant, qu'il s'abstienne des rôles
inutiles où l'on se dépense comme aux autres sans y trouver soi-même (et y
apporter) grand-chose. Dans Carmen, cet hiver, il a tout réussi : modèle
d'ardeur dramatique sauvage et même suicidaire, et de chant contrôlé. On
attend de lui du plus rare, qu'il soit le bandit ténor bien-aimé de La
Fanciulla del West, dans Francesca da Rimini le Paolo des rêves de Dante,
Palestrina un jour avec à la fois les qualités d’un Wunderlich et celles
d’un Lorenz. Son premier Siegmund est programmé au Met, pour 2012. Sainte
patience. Qu'il nous préserve, en late developer, le Tristan qu'il porte en
lui poétiquement, dramatiquement, dont il a les yeux extasiés et le raptus
vocal. Un Tristan qui résume et accomplit, dans le timbre et l'individualité
d'un seul, l'inné d'un grand ténor et son acquis, plus grand encore.
Des disques rares
Encore peu de choses au disque, et dans le désordre : mais patience, Jonas
Kaufmann vient de signer chez Decca. Cherchons pourtant, au-delà de lieder
de Strauss pour BMG, d'un exemplaire Huon dans Oberon (Archiv), le Fils de
Roi dans les rares Königskinder de Humperdinck (Accord, Montpellier 2005),
qui révèle l'étoffe de ce ténor . la facilité de la tessiture, le naturel du
dire, le timbre, la ligne et chose plus rare, la présence au disque, avec un
visage et même un regard dans la voix. En DVD, superbe Florestan jeune et
ardent dans Fidelio (Hamoncourt) Titus maître de la tessiture et des
manières vocales dans la Clemenza (Welser-Möst) curieusement changée en
Singspiel (du parlé au (leu du récitatif, qui certes n'est pas de Mozart).
A.T. |
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