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Forum Opera, 09 Avril 2015 |
Par Yannick Boussaert |
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Mascagni: Cavalleria rusticana, Leoncavallo: Pagliacci, Salzburg, Vorstellung 6. April 2015
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Un diptyque bancal
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De Cavalleria rusticana ou de Pagliacci chacun a sa préférence ou les aime
d’égale manière. Mais à Salzbourg, pour le festival de Pâques, c’est le
premier qui l’emporte sur le second, tant pour la mise en scène que pour la
direction. Aussi et peut-être surtout parce que, dans une double prise de
rôle, c’est en Turiddu que Jonas Kaufmann convainc le plus.
Certes,
son Canio s’incarne déjà d’une manière toute personnelle, celle d’un acteur
crédible d’un bout à l’autre, et ce, d’autant plus que des caméras
retransmettent sur des pans de décors, des gros plans du clown cocu.
Personnel, son « vesti la giubba » est loin de l’effet vériste, extérieur.
L’émotion est ici plus intellectuelle, dans l’intelligence de la ligne
musicale et du mot prononcé. Vocalement en revanche, le rôle le met à la
peine notamment dans la tragique scène de théâtre dans le théâtre finale. Ce
n’est pas une question de couleur vocale ou de technique. Jonas Kaufmann
chante comme il sait le faire, timbre mordoré, sous contrôle permanent,
parsemé de demi-teintes, d’éclats brillants dans l’aigu, sur le souffle tout
le temps. Mais depuis son tréteau en hauteur, la voix ne passe plus guère et
arrive diminuée, notamment tout le medium qu’on devine plus qu’on ne
l’entend.
Un peu plus tôt dans la soirée, Turiddu expose les mêmes
qualités vocales et cette fois une émission et une émotion plus directes et
immédiates. Les mêmes atouts scéniques crèvent l’écran – et ce n’est pas
expression gratuite – toute la mise en scène visant à produire en live un
film en noir blanc, manière de film muet avec bande son signée Mascagni, et
l’on ne perd quasi pas une miette de l’aisance, de l’évidence du jeu du
ténor allemand.
Là aussi le diptyque danse sur un pied plus que sur
l’autre. Le dispositif scénique imaginé par Philipp Stölzl pour les deux
opéras est composé de six caissons rectangulaires disposés trois par trois
sur deux étages. Ils sont très exactement au format 16/9e et peuvent être
captés par des caméras disposées sur les cotés et le fond du parterre. Ils
s’ouvrent, montrant soit des tableaux décoratifs – toits d’une ville
industrielle pour le Mascagni ou roulotte et abords de la fête foraine pour
le Leoncavallo – ou se ferment, offrant ainsi un écran vierge sur lequel le
film peut être projeté. Il faut rappeler que Philipp Stölzl revient ces
dernières années à la scène après s’en être écarté au profit du cinéma.
Cavalleria rusticana se déroule dans un décor en noir et blanc auquel sont
associés des costumes bicolores d’une variété et richesse remarquables. Sur
les murs des caissons, des diagonales plus claires ou plus sombres figurent
l’éclairage intérieur. L’effet est étrange de prime abord, mais il prend
tout sont sens quand on regarde « le film », histoire de règlement de
comptes amoureux sur fond de mafia urbaine. C’est donc bien à une double
représentation qu’est invité le spectateur.
Le même dispositif est
repris pour Pagliacci, dans des couleurs pastels ou vives, clownerie oblige.
Mais après le cinéma muet qui sied à l’univers de ville mafieuse qu’il a
voulu en lieu et place du village sicilien, Philipp Stölzl revient à une
scène plus traditionnelle, au théâtre dans le théâtre et à la réception du
spectacle. Ce sont plutôt les angles de vue différents sur l’action qui sont
ingénieux. La foule regarde la scène vers la coulisse en bas, quand en haut,
les tréteaux du théâtre font face à la salle, la roulotte des saltimbanques,
sur le coté, étant coupée par le milieu. La vidéo dans tout cela n’apporte
guère. Le théâtre et ses jeux de miroir auraient pu se suffire.
Dernière béquille dans la paillasse, Christian Thielemann dirige l’opéra du
napolitain sans grande inspiration mais avec la rigueur et la clarté qu’on
lui connaît (voir Cappriccio a Dresde en novembre dernier). C’est bien plus
chez le Livournais que le chef allemand et l’orchestre de la Staatskapelle
de Dresde impriment leur marque, dessinant des couleurs et des contrastes
saisissants qui font échos au film expressionniste se jouant sur scène.
Un mot enfin des autres interprètes de la soirée. Relative déception
pour les Santuzza et Nedda de Liudmyla Monastyrska et Maria Agresta. La
première est inintelligible, la diction faisant fi des consonnes, ce à quoi
s’ajoute un médium par moment instable. La deuxième par manque de
projection, même si le chant et le style sont ici bien plus châtiés. Rien à
redire sur les quelques répliques de la Lola d’Annalisa Stroppa, la beauté
plastique de l’interprète ne gâchant rien à l’écran. Stefania Toczyka,
chante sa Mama Lucia, le dos quasi tourné au public (belle idée du metteur
en scène) mais n’en marque pas moins les esprits à chaque occasion. Chez les
hommes, Ambrogio Maestri en Alfio mafieux souffre quelque peu dans certaines
notes de passage, tout en campant un chef de bande crédible. Dimitri
Platanias ouvre le Prologue de Pagliacci avec brio avant d’être étonnamment
en retrait en Tonio. Tanzel Akzeybek et Alessio Arduini séduisent également
par leurs belles lignes et timbres clairs en Beppe et Silvio. Couronnement
final, les Chœurs de la Staatsoper de Dresde et les Chœurs d’Enfants de
Salzbourg sont au niveau du festival. |
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