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Altamusica |
David VERDIER |
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Wagner: Tristan und Isolde, Bayerische Staatsoper ab 29.6.2021
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Munich 2021 : Un Tristan historique
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C’est le Tristan de tous les
superlatifs, le rendez-vous coché depuis des mois sur les agendas des
lyricomanes. Et pour les artistes qui y participent, un projet qui sonne
comme l’aboutissement de plusieurs années de travail avec des prises de rôle
de belle envergure dans des carrières déjà remarquables placés sous la
baguette souveraine de Kirill Petrenko.
La crise sanitaire est venue
s’ajouter à l’excitation de la billetterie en menaçant jusqu’au dernier
moment ce Tristan munichois, contraignant les organisateurs à prélever la
moitié des places constituant la jauge complète. Diffusée en streaming urbi
et orbi et sur l’écran géant installé Marstallplatz, la représentation
conclut en beauté le festival de la Staatsoper tout en saluant la fin du
mandat de Nikolaus Bachler et Kirill Petrenko.
La mise en scène,
confiée à Krzysztof Warlikowski, joue sur un contraste évident entre
l’immensité des décors, le recours à des séquences vidéo et un rythme
général au premier abord très statique. La scénographie repose sur des
détails volontairement ténus et en lien étroit avec une partition dont ils
extraient toute la dimension métaphysique. L’action se déroule entre deux
points de focale : une armoire à pharmacie (à jardin) et le célèbre divan de
Freud (à cour) – liant dramaturgique entre philtre amour-mort et métaphore
psychanalytique.
Isolde est un personnage au caractère et à
l’autorité très affirmée, en jeux de soumission et de domination imposés à
Tristan dont le profil d’officier subalterne du roi Marke accentue l’effet.
Les rapports de force s’inversent au III. La vidéo montre durant tout le II
le couple dans une chambre d’hôtel, s’allongeant pour une mort d’amour à
deux où l’enjeu consiste à partager une injection létale. En brouillant les
frontières entre onirisme et réalité, Warlikowski introduit une dimension
fluctuante qui épouse au plus près tout le tissu musical du duo d’amour.
Au confluent de la nostalgie et de l’alanguissement mortifère, il crée
un espace où le couple amoureux vit sa passion sous le regard impuissant de
Marke et les tentatives avortées de Kurwenal et Brangäne pour les ramener à
la réalité. Vocalement, les interprètes font exister leurs personnages
au-delà des apparences et des conventions, propulsant la soirée à des
hauteurs rarement atteintes.
On reste subjugué par la perfection de
Jonas Kaufmann, Tristan dont la vérité du jeu se combine aux qualités du
chant. La ligne est souveraine, sans jamais confondre le volume dans
l’urgence de l’expression et la clarté du mot, et son agonie bouleversante,
quand le flux orchestral le porte hors de lui-même. Prenant à revers ses
détracteurs, Anja Harteros impose une Isolde idéale. La projection ne
souffre d’aucune baisse de régime, avec un art consommé des couleurs et des
inflexions. Elle est cette jeune fille révoltée que la passion déchire dans
une mort et une transfiguration d’anthologie.
Le Kurwenal irascible
et nerveux de Wolfgang Koch et l’exceptionnelle Brangäne de Okka von der
Damerau créent une impression dont le sillage dramaturgique et le
raffinement vocal laissent un brûlant souvenir. À une telle hauteur
d’interprétation, on pourrait trouver à Mika Kares des carences dans la
projection, mais la palette de nuances et la diction sont telles.
Cette lecture doit son équilibre et son aboutissement à la performance de
Kirill Petrenko, dont l’ultime apparition en tant que directeur musical de
l’Orchestre de la Staatsoper touche ici à une perfection absolument inouïe.
Jamais auparavant les plans sonores n’avaient atteint un tel degré de
lisibilité et de nuance, avec un horizon musical qui va sans cesse
s’élargissant et ouvre à l’écoute en salle une émotion et un trouble
incommensurable. Une soirée historique à tous les niveaux.
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