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Olyrix, Le 01/08/2021 |
Par Ôlyrix |
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Wagner: Tristan und Isolde, Bayerische Staatsoper ab 29.6.2021
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Tristan et Isolde, double prise de rôle prêt-à-porter et sur-mesure pour Kaufmann
& Harteros à Munich
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Événement aussi attendu que la renommée
de ses protagonistes : Tristan et Isolde de Wagner retransmis gratuitement
en direct depuis l'Opéra d'État de Bavière marque la double prise des
rôles-titres par les stars lyriques mondiales Jonas Kaufmann et Anja
Harteros dans la nouvelle mise en scène de Krzysztof Warlikowski, le tout
dirigé par Kirill Petrenko effectuant ainsi ses adieux comme Directeur
musical maison :
Deux mannequins de magasins de prêt à porter
représentent la première image de cette production et le couple d'amants
légendaire, universel et éternel. L'histoire de Tristan et Isolde est à ce
point emblématique, humaine (l'essence même de l'amour impossible, sublimé
jusqu'à la mort) qu'elle semble inspirer tous les drames amoureux à travers
les siècles et qu'elle peut même se reconnaître dans l'image justement la
plus prosaïque et reproduite à l'infini : celle d'un couple réifié en
mannequins. Mais ces mannequins s'animent bientôt, révélant qu'ils cachent
des êtres animés sous leur apparence pétrifiée : une illustration aussi
littérale qu'éloquente de la puissance du mythe et de l'opéra qui, même
reproduits à l'infini, avec codes et rituels, conservent le pouvoir magique
de raviver les flammes (celles du philtre d'amour et de mort).
Les
mannequins prennent vie et donnent ainsi symboliquement vie au début du
spectacle, en passant de l'immobilité à la lenteur, qu'ils transmettent à
tous les interprètes. Warlikowski poursuit ainsi son schéma dramaturgique
habituel : plaçant des personnages engoncés par leurs habits, leurs statuts
sociaux et leurs rôles tragiques dans un univers immobile (les mannequins
sur le bateau de Tristan et Isolde fonctionnent exactement comme les têtes
de papier mâché et dans les mêmes boiseries que son Don Carlos, le prêtre et
l'inquisiteur de Don Carlo ont fusionné ici en Kurwenal, la lenteur luttant
contre l'inéluctable immobilité rappelle ici l'univers de son Iphigénie en
Tauride, le philtre bu dans un calice christique non loin d'un mobilier
design de série lui aussi est pris dans un cabinet à liqueurs et autre
pharmacie qui hante les plateaux de Warlikowski, pour ne citer que quelques
exemples des nombreuses auto-références du metteur en scène). Jonas Kaufmann
finit ici (comme très récemment pour les interprètes d'Aida à Bastille) en
ventriloque d'un mannequin qui prend sa place parmi une série de
poupées-enfants : autant de prochains Tristan reproduits. Le metteur en
scène poursuit la clarté de son travail en filant une série de métaphores
sur les amours impossibles tout au long de cet opus : deux oiseaux volant
au-dessus d'une mer infinie en vidéo, deux têtes de faunes empaillés, le
dédoublement des personnages et de leurs projections en vidéos (réalisées
par Kamil Polak), toujours en symétrie, dans un décor et jusqu'aux motifs de
papier peint symétriques. Ce travail renforcé par des lumières (de Felice
Ross) très verticales et contrastées est toutefois difficile à apprécier
avec l'interprétation de ces interprètes et dans cette réalisation
audiovisuelle qui rompent régulièrement le rythme et la symétrie par des
mouvements brusques (du corps et de la caméra).
Toutefois, le
résultat scénique ressemble encore moins (et même nullement) à la manière
dont le metteur en scène explique son propos en interview : Tristan serait
imaginé par Isolde, sorti d'un coma après une guerre au XXe siècle et les
amants iraient de nulle part vers un entre-deux mondes en passant par une
chambre d'hôtel et avant cela une institution pour orphelins. La mise en
scène pose ainsi une fois encore la question fascinante de (sa)voir si et
comment un prêt-à-porter peut devenir haute couture.
Pour ce faire,
Munich a réuni des musiciens d'exception. Les rôles-titres sont confiés au
duo ténor-soprano stellaire souvent considéré comme top, modèle musical.
L'événement que représente le premier Tristan en version scénique intégrale
de Jonas Kaufmann n'a cessé de croître en importance pour le monde de
l'opéra contemporain et en impatience pour le public, à mesure que le ténor
vedette gagnait en popularité et accroissait son répertoire jusqu'à
s'approcher de ce sommet. L'artiste a pris tout son temps, élargissant
progressivement son catalogue et sa vocalité, prenant et reprenant les plus
grands rôles bel cantistes et wagnériens, avant d'approcher Tristan d'abord
acte par acte et en version de concert, pour finalement venir offrir au rôle
ses qualités éprouvées et réunies d'intensité et de contraste.
L'articulation modèle trouve dans les longs phrasés wagnériens tout le temps
de déployer des paroles chéries, comme sacrées par l'articulation délicate
et intense à la fois. Le corps vocal est assuré au point de déployer toute
son intensité et d'autoriser de nombreux décrochements vocaux, tous
maîtrisés comme ses aigus crescendo soulevés sans être tirés.
Anja
Harteros est certes la partenaire de scène la plus emblématique pour Jonas
Kaufmann, elle n'accompagnait cependant pas -encore- le ténor dans les
sommets wagnériens du répertoire. La soprano marque donc d'emblée (dès le
début de l'œuvre et au début de chaque phrase) un grand impact vocal par ses
accents toniques pour (s')affirmer (dans) cette musicalité intense. La
chanteuse peut convoquer son appui poitriné pour les graves et déploie sa
longueur de phrase notamment dans les registres et nuances intermédiaires.
La prestation bénéficie de surcroît d'une grande maîtrise des effets
dramaturgiques, d'une intelligence dans l'intensité musicale et théâtrale.
En somme toutes ses qualités sont convoquées pour compenser la nécessité de
raccourcir un peu les phrases puissantes (beaucoup les aigus). Toutefois, le
métier et l'habitude de ces deux grands artistes (leur accoutumance à
chanter et à chanter ensemble) les mènent à se renforcer mutuellement,
progressivement, jusqu'aux sommets dramatiques et musicaux.
Leur
déploiement vocal est aussi pleinement permis et soutenu par l'Orchestre
d'Etat de Bavière qui parvient à déployer toute l'intensité de ses timbres,
couleurs et nuances (et même les océans orchestraux) sans jamais saturer ni
couvrir le timbre ou le placement des chanteurs, au contraire. Le maestro
Kirill Petrenko est aussi bien suivi par ses musiciens que par son public,
qui l'applaudit très chaleureusement au début de chaque acte.
Mika
Kares campe un Roi Marke glacial, avec constance dans son interprétation
(celle aussi du travail du metteur en scène), au point de marcher un peu sur
des œufs. Pas vocalement toutefois, son immense articulation égalant sa
stature physique et la rondeur de son timbre. La partition se charge de la
puissance émouvante de ce roi trahi, prolongée toutefois par les aigus
élancés de l'interprète.
La voix opulente d'Okka von der Damerau en
Brangäne se déploie pleinement dans le médium et s'anime encore dans l'aigu.
Kurwenal en prêtre a la voix vaillante et tenue de Wolfgang Koch mais qui ne
déploie pas l'amplitude du timbre, puis continue de déployer avec sa
puissance le creux entre les écarts de son large vibrato.
Sean
Michael Plumb assume pleinement son rôle de Melot d'une intensité appuyée
mais aussi un peu vile et tremblante. Manuel Günther en jeune marin ouvre le
plateau vocal avec l'expressivité d'un phrasé vivant et varié, animé sans se
perdre. Dean Power est un berger empressé et animé mais non moins émouvant
qu'ému, traduisant son inquiétude face au destin de Tristan. Le timonier de
Christian Rieger garde bien le cap vocal. Le Chœur maison compose un
équipage animé, peu organisé sur le plan rythmique mais proposant de fait
des individualités intéressantes.
Le spectacle marque de nombreux
points d'orgue, de débuts et de fins : de prises de rôles et d'adieux, d'une
saison si particulière et de parcours à travers des projets artistiques. Il
est acclamé par le public et par les musiciens en fosse qui agitent des
mouchoirs (ce n'est qu'un au revoir) puis également par les spectateurs
réunis devant l'écran géant extérieur, les artistes venant également y
saluer.
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