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Diapason, Le 02 août 2021 |
Par Emmanuel Dupuy |
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Wagner: Tristan und Isolde, Bayerische Staatsoper ab 29.6.2021
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A Munich, triomphe pour le premier Tristan de Jonas Kaufmann...
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... et pour la première Isolde d'Anja
Harteros, l'un et l'autre choyés par la direction musicale de Kirill
Petrenko, dans un spectacle signé Krzysztof Warlikowski.
Comme Simon
Stone à Aix-en-Provence, Krzysztof Warlikowski actualise Tristan et Isolde,
mais sans le banaliser - quoique le suicide par poison de la protagoniste
ôte une dimension mystique à sa mort. Ce n'est pas l'histoire de monsieur et
madame tout-le-monde qu'il nous montre, mais celle d'un intemporel amour
impossible. Le metteur en scène prend le terme tantrique au pied de la
lettre : les amants n'échangeront jamais une caresse, encore moins une
étreinte, il faudra même attendre les ultimes secondes pour qu'ils osent
enfin se regarder dans les yeux. Décor unique : un grand hall lambrissé,
soi-disant la galerie parisienne du marchand d'art Paul Rosenberg, qui fut
spolié par les nazis (Wagner et le IIIe Reich : on n'en aura donc jamais
fini ?). La force du drame réside surtout dans les subtilités de la
direction d'acteurs. Hélas, entre quelques beaux moments d'épure,
Warlikowski ne peut s'empêcher de troubler son propos par des éléments qui
ne font que détourner l'attention (les vidéos) ou restent énigmatiques (qui
sont ces figurants au visage de cancéreux en phase terminale ? qui est ce
vieillard accompagnant Marke ?).
Deux prises de rôles majeures
Avouons-le : c'est surtout pour deux prises de rôle majeures qu'on a
fait le voyage. Après de glorieux Siegmund et Parsifal, Tristan semblait une
évidence pour Jonas Kaufmann. Si ce registre dramatique l'oblige à donner la
pleine mesure de ses moyens, sans abuser d'effets de détrimbrage (son péché
mignon dans le répertoire italien), le ténorissimo n'abdique pas pour autant
un art de la demi-teinte légendaire, qui fait merveille dans les effusions
du II. Ne possédant pas l'ampleur de ses plus illustres devanciers, le
délire du III le pousse certes dans ses retranchements, mais il y accomplit
des miracles : on n'en a jamais entendu d'aussi dignement chanté - au sens
propre -, et non hurlé ou simplement déclamé comme c'est trop souvent le
cas. Et avec ça une vibration intérieure, une déchirure de l'âme, une
authenticité du sentiment proprement bouleversantes : à genoux !
Hissant haut les voiles de son grand soprano lyrique, Anja Harteros est une
Isolde a priori atypique, préférant la souplesse des phrasés et la lumière
du timbre aux stridences et vociférations où s'égarent de nombreuses
titulaires du rôle. Si les colères du I la confrontent aux limites de sa
puissance, c'est sans troubler un souci de la nuance qui partout fait
merveille, jusque dans une Liebestod offerte avec les délicatesses d'un
lied. Grande sœur de Senta et de Sieglinde, plutôt que jumelle de
Brünnhilde, cette incarnation serait sans doute risquée dans un plus vaste
théâtre. Mais puisque c'est ici même que l'ouvrage fut créé, en 1865, il est
permis de penser qu'Harteros rend ce soir Isolde à sa vérité première - avec
en outre un maintien, une présence en scène véritablement princiers.
Vérité des origines
Riche mezzo aux registres parfaitement unis, Okka
von der Damerau campe une Brangäne somptueuse et maternelle à la fois, quand
le Marke de Mikka Kares, forcément souverain, vogue sur un océan de legato.
Davantage pater familias que noble chevalier, Wolfgang Koch a peut-être le
cuir trop épais pour faire un crédible Kurwenal - sur le plan de l'élégance,
le Melot de Sean Michael Plumb lui dame le pion en quelques mesures.
Si les premiers mois du mandat de Kirill Petrenko à la Philharmonie de
Berlin ont pu laisser quelques observateurs perplexes, le chef prouve une
nouvelle fois que le théâtre est son royaume. Le Prélude du I, aux
raffinements instrumentaux ensorcelants (ces cordes !), mais à la fièvre
mesurée, laisse craindre une fâcheuse tendance à l'hédonisme. Appréhension
vite balayée par la vitalité organique qui animera les trois actes, ciselés
par toute une palette d'accents, de relances, d'accélérations et de
variations dynamiques, en symbiose avec le plateau. Rien ne pèse dans cette
matière sonore aux reflets d'or et à la fluidité liquide - là aussi, il nous
semble retrouver une certaine vérité des origines, approchée jadis par un
Carlos Kleiber. Reconnaissant, l'orchestre rend hommage à son désormais
ex-directeur musical en entonnant, lors des saluts, un chant d'adieu
traditionnel, avant de lui offrir une valse du Chevalier à la rose. Que
d'émotions !
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