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Bachtrack, 19 Februar 2021 |
Von Stéphane Lelièv |
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Verdi: Aida, Paris, Opera Bastille, 18. Februar 2021
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L'ennui au musée : Aida à l'Opéra Bastille
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Les méfaits de la colonisation ou
l’appropriation, par certains musées, d’œuvres d’art de pays étrangers sont
des sujets de réflexion tout à fait légitimes. Mais qu’ont-ils donc à voir
avec l’histoire d’Aida, telle que l’imagina l’égyptologue Auguste Mariette ?
Tout, selon la metteuse en scène Lotte de Beer : réduire les tensions qui
opposent, dans le livret de Ghislanzoni, les Égyptiens et les Éthiopiens à
un simple conflit inter-africain, « c’est ne pas voir plus loin que le bout
de son nez »… Son Aida se passe donc en Europe, dans un musée, à la fin du
XIXe siècle. Aida est une sculpture africaine, dont tombe fou amoureux
Radamès, au grand dam d’une belle Européenne nommée Amneris (la propriétaire
du musée ? une riche mécène ?) vêtue d’une élégante robe à faux-cul typique
des années 1870. Ne supportant pas la fascination de Radamès pour cette
sculpture, elle le fait arrêter et jeter dans une sorte de cave où il mourra
entouré d’autres sculptures africaines jonchant le sol.
À une époque
où La Bohème se passe sur la Lune ou Rigoletto dans un carton, nous sommes
prêts à accepter cette lecture, pas plus « à côté de l’œuvre » que tant
d’autres. À condition toutefois que l’émotion soit au rendez-vous. Or
l’émotion est précisément la grande absente du spectacle. Les contorsions
des cinq marionnettistes, constamment présents sur scène, chargés de faire
se mouvoir les marionnettes d’Aida et d’Amonasro pendant que les chanteurs
interprètent leur rôle à l’arrière-plan agacent et détournent constamment
l’attention du spectateur, incapable de s’intéresser au sort des «
personnages ». Passons sur une incompréhensible scène du triomphe (les
figurants y miment, dans un théâtre de fortune, des tableaux vivants,
reproduisant de façon comique certaines toiles célèbres tel Bonaparte
franchissant le Grand-Saint-Bernard) pour souligner, au-delà du parti pris
de cette relecture, une direction d’acteurs tantôt absente (les chœurs
restent plantés de part et d’autre de la scène pendant tout le triomphe de
Radamès), tantôt on ne peut plus traditionnelle (sabre brandi pour accentuer
le côté martial du héros, mains sur le cœur pendant la prière à Fthà),
tantôt ridicule (Amneris trépignant d’impatience et tapant des pieds quand
on ne lui apporte pas assez vite ses accessoires). Reste à déplorer la
présence de deux (longues) scènes jouées à l’avant-scène devant un rideau,
mais aussi la grande laideur des décors, le summum étant atteint pendant
l’acte du Nil, joué devant une armature de bois sur laquelle est tendue une
toile bariolée…
Musicalement en revanche, c’est splendide. Michele
Mariotti tire le meilleur d’un orchestre et de chœurs en grande forme (en
dépit de ténors un peu « braillards » pendant la scène du triomphe) : sa
direction violemment contrastée souligne le romantisme exacerbé de la
partition et ravive les couleurs incandescentes de l’œuvre que lui refuse
avec obstination la mise en scène. Vocalement, l’Opéra de Paris a mis les
petits plats dans les grands : Soloman Howard, malgré un vibrato un peu
relâché, est un roi sonore et imposant. Dmitry Belosselskiy fait valoir en
Ramfis une voix large et un timbre profond, même s’il accuse une petite
baisse de régime à partir du second acte. Ksenia Dudnikova (Amneris)
impressionne vivement lors de sa première apparition, par l’arrogance de sa
projection, la puissance de son medium et de ses graves. Au total cependant,
la performance est inégale, avec de temps en temps des « trous » dans la
voix (surtout dans l’aigu) et une certaine indifférence aux mots.
Mais pour Amonasro, Radamès et Aida, difficile d’imaginer aujourd’hui
meilleurs interprètes que ceux réunis par l’Opéra de Paris. Amonasro est un
rôle bref mais essentiel, nécessitant avant tout une grande autorité mais
aussi toute la morbidezza nécessaire aux « foreste imbalsamate » de l’acte
III, autant de qualités que possède Ludovic Tézier – qui se confirme plus
que jamais comme l’un des tout premiers barytons verdiens du moment.
Jonas Kaufmann est dans une forme éclatante : faisant preuve d’une belle
vaillance et d’aigus suffisamment assurés pour affronter le finale du III et
le duo avec Amneris, le ténor a surtout ébloui par le raffinement de ses
nuances et de son chant piano, délivrant notamment une élégantissime messa
di voce sur le « vicino al sol » de son air d’entrée !
Sondra
Radvanovsky, enfin, est une Aida bouleversante. À l’exception d’un (petit)
accident sur le contre-ut de l’air du Nil (qu’elle tente courageusement
pianissimo !), la maîtrise de l’instrument est constante. On a évidemment
entendu dans le rôle des voix intrinsèquement plus « belles », mais quelle
autre est à ce point immédiatement vectrice d’émotion ? D’un raffinement
inouï, la ligne de chant se pare de mille couleurs, de mille nuances, nous
offrant, lorsqu’elle se joint à celle de Jonas Kaufmann à la fin du
quatrième acte, le plus bouleversant duo final de l’œuvre entendu depuis
longtemps !
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