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TdG, 03.07.2020 |
Rocco Zacheo |
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Schubert: Die schöne Müllerin, Genève, 2. Juli 2020
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Quand la voix du demi-dieu Jonas Kaufmann devient enfin humaine
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Avec le cycle de Lieder de Schubert «Die
Schöne Müllerin», le ténor allemand a clôt la saison du Grand Théâtre d’un
chant qui affiche des signes de fatigue.
Pour saisir pleinement ce
que la pensée romantique a légué à la musique, on ne trouverait pas
meilleure illustration que les cycles de Lieder de Schubert. Et plus
particulièrement ceux de la «Winterreise» et de «Die Schöne Müllerin»,
piliers du genre qui empruntent leurs mots aux vers du poète allemand
Wilhelm Müller. C’est aussi à travers ces deux ouvrages qu’on pourrait
appréhender un pan de la carrière d’un des plus grands ténors en
circulation, Jonas Kaufmann. Et on s’y emploierait en se tournant vers les
interprétations qu’il nous a léguées de ces pièces, entre les murs du Grand
Théâtre, à distance de six ans. La star a donc fait un retour à Genève jeudi
soir, accompagnée encore une fois par le fidèle et impeccable Helmut Deutsch
au piano, pour livrer un récital placé hors abonnement, telle une cerise de
consolation à une saison lyrique brutalement amputée pour cause de pandémie.
Une patine opaque dans la voix
Dans une salle à moitié pleine
– restons positifs – mais très vite sold-out, le ténor s’est présenté dans
une tenue simple, costard-cravate, chevelure et barbe courte marquées par
une blancheur avançant inexorablement, silhouette qui semble avoir perdu
cette ligne athlétique affichée en 2014. Que le temps a coulé entre-temps,
cela s’entend aussi d’entrée, dès ce «Das Wandern» qui ouvre «Die Schöne
Müllerin». Le legato n’a pas la souplesse habituelle, l’aigu est atteint
avec moins de naturel que par le passé; on croit alors deviner une fatigue,
une couche de rouille dans ce chant qui peine à se libérer. Dans les Lieder
qui suivent, l’impression d’un voile boisé, d’une patine opaque, se
confirme. On se dit alors que cet organe impérial ayant permis à Kaufmann
des incarnations qui ont fait date (Lohengrin, Tristan, Otello…) porte sans
doute les traces de ces rôles éreintants et d’un agenda qui a été pendant de
longues saisons saturé jusqu’à l’invraisemblable.
Les coups d’éclat
ne manquent pas pour autant durant la soirée: on se souvient par exemple
d’un «Ungeduld» mené avec un sens consommé de la dramaturgie – ces «Dein ist
mein Herz…» alignés à chaque fois avec un crescendo irrésistible – à la fin
duquel le public n’a pas pu retenir ses applaudissements. On garde en tête
le jeu scénique du chanteur, bien plus expressif que celui déployé lors de
la «Winterreise» de 2014. On retient enfin le soin porté aux articulations
des mots, la clarté qui se dégage du texte. Pourtant, on peine à être
bouleversé par le drame que vit le jeune homme des vers chantés, à qui la
jeune meunière refuse d’accorder son amour.
Soirée décevante? Loin de
là. Jonas Kaufmann garde pour lui des atouts éblouissants. Mais lorsqu’on
part à sa rencontre, on pense côtoyer un demi-dieu. Jeudi soir, ce fut une
voix humaine dont il a été question.
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