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Diapason, 26 mars 2019 |
Par Emmanuel Dupuy |
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Verdi: La forza del destino, London, ab 21. März 2019
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La Force du destin de Verdi à Covent Garden : le cast du siècle
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Sur le marché noir, certaines places
auraient passé la barre des 4000 livres pour cette Force du destin
londonienne. La cause de cette hystérie ? Un plateau vocal comme on n'a
guère l'occasion d'en entendre, constellé par trois des plus éclatantes
étoiles de la scène lyrique actuelle : Anna Netrebko, Jonas Kaufmann et
Ludovic Tézier.
Pour Anna Netrebko, Leonora était une première fois.
Passé quelques menus écarts d'intonation (son péché mignon), l'artiste
s'approprie cette figure verdienne par excellence, tiraillée entre ses
passions contraires, avec une évidence que favorise un souffle aussi vaste
que l'horizon, des aigus filés du plus bel effet et, dans sa prière, une
fougue, une vibration charnelle qui est aussi vibration de l'âme. Partout
d'ailleurs, le nuancier fait miroiter sur un timbre irrésistible tout un
arc-en-ciel de demi-teintes et de sentiments qui met la salle à genoux - et
nous avec.
L'excitation est à son comble lorsque Jonas Kaufmann
paraît, enjambant, tel Zorro, le rebord de la fenêtre. Le ténorissimo
reprend le rôle d'Alvaro (étrenné naguère à Munich) et réédite son propre
miracle, trouvant, après tant de triomphes wagnériens, une lumière latine et
une plasticité des phrasés qui épousent à merveille l'instabilité affective
du personnage.
Cette victoire annoncée, Kaufmann devra la partager
avec Ludovic Tézier, qui s'affirme une nouvelle fois comme un des (le ?)
plus grands barytons Verdi du moment. L'incroyable longueur du legato et le
volume sidérant s'accompagnent d'une puissance d'incarnation qu'on ne lui a
pas toujours connue, exprimant jusqu'à l'effroi les pulsions vengeresses de
Don Carlo di Vargas.
Si la Preziosilla de Veronica Simeoni montre
dans ce contexte un matériau vocal un rien modeste, on retrouve alentour
toute une galerie de vétérans qui n'ont rien perdu de leur charisme. Roberta
Alexander fait une apparition en camériste, Robert Lloyd continue à porter
beau en Marquis de Calatrava (qu'il chantait ici même en... 1973) et
Alessandro Corbelli casse la baraque en prêtant au Fra Melitone son
inoxydable métier bouffe. Quant au Padre Guardiano de Ferruccio Furlanetto,
malgré quelques libertés avec la justesse, il glace les sangs par l'autorité
de ses graves abyssaux.
Quand le rideau se lève, nous sommes dans la
demeure des Calatrava, au début du XXe siècle, et nous y resterons quatre
actes durant, le décor de cet intérieur bourgeois se transformant par de
subtils mouvements pour souligner les changements d'ambiance. L'action
tarabiscotée de La Force du destin n'a rien à perdre à cette actualisation,
elle y gagne plutôt une concentration que favorisent la loyauté et la
franchise de la direction d'acteurs. Tout juste reprochera-t-on au spectacle
de Christof Loy d'assumer un peu trop le côté kermesse de la scène du
campement militaire, avec danseurs et lampions.
Au pupitre, Antonio
Pappano fait ce que tout chef d'opéra devrait faire : il donne le cap,
unifie et accompagne, couvant son aréopage vocal de mille attentions
instrumentales. Si bien guidé, l'orchestre de Covent Garden confirme sa
place parmi le quintette de tête mondial des formations lyriques.
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