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Olyrix, Le 20/09/2018 |
Par Paula Gaubert |
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Liederabend, Grand-Théâtre Bordeaux, 18. September 2018
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Jonas Kaufmann ensorcelle Bordeaux en récital de Lieder
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Le magnifique Jonas Kaufmann ensorcelle
les Bordelais dans un récital de Lieder composés par Liszt, Mahler, Wolf et
Strauss, accompagné par Helmut Deutsch au piano.
C’est un privilège
unique que d’entendre le premier ténor de nos jours, Jonas Kaufmann, en un
récital consacré à l’art subtil du Lied. Dans la salle bondée du Grand
Théâtre de Bordeaux, le public exprime son enthousiasme dès l’entrée en
scène de l'artiste et de son célèbre collaborateur, le pianiste Helmut
Deutsch.
Les deux interprètes offrent dans la première partie, six
Lieder de Franz Liszt, et les Rückert-Lieder de Gustav Mahler ; dans la
deuxième partie, le Liederstrauss (ou Heine-Lieder) de Hugo Wolf, et pour
clore le programme, les Vier letzte Lieder de Richard Strauss. Les pièces de
Franz Liszt sont moins généralement connues des aficionados du genre, mais
elles offrent une entrée en matière idéale. La première : « Vergiftet sind
meine Lieder » (Mes chants sont empoisonnés) ouvre avec un bond plein
d’énergie. Jonas Kaufmann établit tout de suite la beauté de son plein
instrument, et la richesse cuivrée de ses aigus « héroïques ». Ensuite, avec
« Im Rhein, im schönen Strome » (Dans le Rhin, dans ce beau fleuve) il
dévoile sa qualité fondante et lyrique, alors que le toucher
extraordinairement délicat au piano d'Helmut Deutsch opère sa magie. À
mesure que progresse le groupe des six chansons, Kaufmann et Deutsch
attirent le spectateur note par note dans leur univers de plus en plus
personnel. Dans « Es war König von Thule » (Il était un roi de Thulé),
Kaufmann offre progressivement son visage au spectateur, lui parlant
directement. La ravissante chanson « Ihr Glocken von Marling » (Vous, les
cloches de Marling) d’abord très intime, monte en intensité, et finalement
pour « Die drei Zigeuner » (Les trois gitans) dans une scena dramatique
explorant toutes les émotions, la salle toute entière est envoûtée, immergée
dans leur monde.
Jonas Kaufmann commence alors à prendre davantage de
risques : dans certains pianissimi, pour exprimer l’indicible, il ose
descendre jusqu’au souffle presque rauque. Il trouve des tons étranges,
droits, sinistres, et parfois, pour un effet, passe un peu en dessous de la
note, rugit ou grommelle une note entre les dents. Dans tous ces mouvements,
Helmut Deutsch est un partenaire de rêve. Il délivre un toucher magique, ne
semble qu’effleurer les touches du piano. Un son pur et délicat en sort : le
spectateur comprend qu’il est en présence d’un souverain en l’art si
exigeant de l’accompagnement.
Le ténor offre une version immensément
intime et tendre d'« Ich atmet' einen Linden Duft » (je respire un parfum de
tilleul). Effeuillant ainsi les Rückert-Lieder de Gustav Mahler, Jonas
Kaufmann et Helmut Deutsch mettent l’accent sur un aspect nu et minimaliste,
particulièrement dans le numéro 4 : « Ich bin der Welt abhanden gekommen »
(Je suis perdu pour le monde). Parfois, certes, les risques que prend
Kaufmann lui sont coûteux : les pianissimi, hors du fil de la voix sur une
longue phrase, érodent la clarté et semblent le fatiguer. Parfois, l’usage
de la voix droite fausse un peu trop la justesse de la note.
Après
l’entr’acte, Jonas Kaufmann revient revigoré, et les sept poèmes signés
Heine du Liederstrauss (Bouquet de chansons) d'Hugo Wolf passent avec une
aisance retrouvée. Dans son allemand natif, Kaufmann donne une leçon de
diction : chaque parole, chaque consonne amoureusement caressée, mais aussi
très naturellement parlée sans prétention aucune, directe, de caractère très
contrasté avec les Lieder de Mahler très romantiques et le Strauss à suivre.
Le dernier volet du programme est le plus controversé, et par là le plus
innovant : a-t-on déjà vu un autre ténor entreprendre les Quatre derniers
Lieder de Strauss ? Ces quatre chefs-d’œuvre, parmi les plus appréciés du
répertoire, exigent une soprano aux aigus expansifs, de préférence clairs et
radieux comme ceux d'une Lucia Popp, ou Karita Mattila. Une splendeur
d’harmoniques, mais aussi (un peu paradoxal) la capacité à tisser de longues
phrases agiles, et à dominer un énorme orchestre. C’est un pari osé que d’y
substituer une voix masculine, héroïque et sombre. Mais chanter contre la
tradition, c’est aussi offrir une nouvelle écoute. Pour la première fois,
nous pouvons découvrir ce dernier Strauss, non pas exalté ni parfumé, mais
ténébreux, méditatif, et réellement noir. Sans orchestre, comme pour le
Mahler, l’accompagnement piano paraît totalement nu. Toutefois, le pari
n'est peut-être que partiellement réussi, car malgré son souffle
inépuisable, sa belle voix de tête, et ses couleurs variées, Kaufmann ne
paraît jamais totalement à l’aise, refrénant au maximum son instrument pour
les longs et délicats mélismes pianissimi. Le meilleur vient à la fin, pour
Im Abendrot (Au coucher du soleil) où sa voix redevient très soyeuse et
solide, d’une beauté magnifique.
Après ces quatre cycles, commence le
jeu des bis. Kaufmann régale les Bordelais de cinq rappels (Strauss et
Liszt) tous plus splendides les uns que les autres. Il est au sommet de sa
forme, décontracté, libérant son superbe instrument pour rebondir contre les
murs du Grand Théâtre. Chaque fois qu’Helmut Deutsch revient sur scène,
suivant Kaufmann, le public voit qu’il porte des feuilles de musique, et la
salle explose en un grand « OUI ! » de pur bonheur collectif.
Ainsi
se clôture ce superbe récital, qui donne envie de revoir Jonas au plus vite
à Bordeaux, il pourrait notamment y briller dans le répertoire wagnérien (ou
tout autre) !
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