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Le Monde, 15.02.2018 |
Par Marie-Aude Roux |
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Wolf: Italienisches Liederbuch, Paris, 14. Februar 2018
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Jonas Kaufmann et Diana Damrau sur les hauteurs escarpées d’Hugo Wolf
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Le duo de chanteurs allemands,
invités à la Philharmonie de Paris, a défendu avec art l’« Italianisches
Liederbuch ». |
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Exigeant récital que celui donné le 11
février à la Philharmonie de Paris dans le cadre de la série « Les Grandes
Voix » par la fine-fleur du chant allemand. Le ténor star Jonas Kaufmann et
la soprano Diana Damrau ont en effet programmé en duo le rare Italianisches
Liederbuch (Livre des chants italiens) d’Hugo Wolf, l’un des maîtres du lied
avec piano (ici tenu par l’excellent Helmut Deutsch), après Beethoven,
Schubert, Schumann et Brahms. Soit un total de 350 lieder dont une centaine
longtemps demeurée inédite.
Wolf (1860-1903) sentait monter en lui «
les signes avant-coureurs de la composition ». « L’explosion peut se
produire à tout moment », ajoutait-il, mais elle peut aussi prendre des
pauses comme pour cet imposant recueil de 46 lieder sur des textes
populaires puisé dans une anthologie de rispetti toscans et de villote
vénitiennes anonymes, dont l’écriture s’étale de septembre 1890 à fin 1896.
Le compositeur subit alors les premières atteintes sérieuses d’une syphilis
qui aura raison de ses facultés créatrices et causera sa mort le 22 février
1903, après quatre ans d’internement dans un asile d’aliénés.
Une
donjuanesque liste de conquêtes amoureuses
Les jeux de l’amour sont
évidemment au cœur du recueil, du simple effleurement à l’aspiration
charnelle, de la déclaration sublimée à l’extase spirituelle. Ils sont aussi
volontiers sur le sentier de la guerre, reproches, trahison, jalousie, mais
aussi menace de séparation et de mort. Ils termineront par un florilège
câlin, badin et taquin, telle que choisi par les interprètes pouvant à leur
guise agencer les 46 poèmes, sachant que 17 d’entre eux supposent un
personnage masculin, 19 une narratrice, les dix autres appartenant, si l’on
veut, au genre neutre.
C’est ainsi que les deux protagonistes,
élaborant une sorte de dramaturgie opératique en quatre « actes »
entrecoupée de pauses qui vaudront quatre changements de châle pour la belle
(vert, rose pâle, rose vif et noir), départageront 24 lieder pour Jonas
Kaufmann, Diana Damrau se réservant 22 pièces, dont deux ouvrent et ferment
la marche, de la fine évocation des choses simples qui rendent heureux
jusqu’à l’explosion mutine d’une donjuanesque liste de conquêtes amoureuses.
Entre les deux, l’amant aura bombé le torse et déployé les armes massives de
la séduction, de l’emphase à la prière, tandis que la femme tendre et
sincère avant que de se découvrir trompée, passera de la colère à l’ironie
pour gagner la bataille amoureuse par la multiplication affichée ou
fantasmée d’une batterie d’amants.
Avec ses faux airs de Meryl Streep
en robe romantique semée de roses sur fond noir, la soprano allemande se
révèle plus qu’une artiste fine mouche. Son chant généreux, parfaitement
maîtrisé sur toute la tessiture, déploie une prosodie millimétrée qu’elle
prend, hélas, trop de peine à surjouer, comme s’il fallait aider la musique.
Il est vrai que l’Italianisches Liederbuch n’a pas la séduction immédiate du
Voyage d’hiver de Schubert, de L’amour et la vie d’une femme de Schumann ou
même de La belle Maguelone de Brahms. C’est une musique qui s’apparente à un
récitatif mâtiné de brefs ariosos, sans mélodies aisément repérables, où le
piano œuvre en maître du temps et de l’espace au gré d’une subtile écriture
harmonique puisées aux sources wagnériennes, sans que la prosodie le veuille
laisser paraître.
L’art poétique du clair-obscur
En sombre
habit de soirée et plastron blanc, Jonas Kaufmann, heureusement moins
minaudeur que sa comparse, a donné scéniquement la réplique tout en
atteignant à la quintessence du Liedersänger, qui consiste à faire entendre
le sens des mots dans le son de la voix. Entre pierre et chair, coups et
caresses, il passe avec naturel d’une juvénilité passionnée à la forme de
rouerie plus ou moins goujate de l’homme arrivé à ses fins, tout en osant la
transcendance. Si le medium grave semble toujours en proie à quelques ténus
problèmes d’émission, son art poétique du clair-obscur s’exalte dans un «
Sterb’ ich, so hüllt in Blumen meine Glieder » sur le fil (Si je meurs,
qu’on m’entoure de fleurs), dans l’aura inoubliable de son Werther
agonisant, un rôle qu’il a tué jusqu’à nouvel ordre.
L’impavide
Helmut Deutsche est un magicien qui distille les atmosphères, maître d’âmes,
dont il éprouve les atermoiements. C’est avec une suprême élégance qu’il
ramène à l’entendement la complexité de l’accompagnement pianistique, main
tendue et bras offert, guidant les chanteurs sur les hauteurs escarpées de
l’inspiration d’Hugo Wolf.
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