Olyrix, Le 31/07/2018
Par José Pons
 
Konzert, Peralada, 28. Juli 2018
 
Jonas Kaufmann, souverain de Peralada le temps d’une soirée
Jonas Kaufmann est un habitué régulier du Festival de Peralada. Très touché par la disparition récente de Carmen Mateu, créatrice de l’événement, il lui a dédié son dernier bis, Traüme de Richard Wagner tiré des Wesendonck Lieder.
 
Créé en 1987, le Festival Castell de Peralada développe un projet artistique singulier, d’origine essentiellement privé. Il est soutenu financièrement par plus de 50 entreprises et fonctionne, en dehors des fonds apportés par l’intermédiaire de la Fondation d’origine, par l’apport de la billetterie. Ouvert à toutes les formes d’arts de la scène, de l’opéra au ballet et
à la variété, le Festival ne cesse au fil des ans de s’affirmer. Il présente en cette année 2018 sa 32ème édition. Le lieu d’accueil -un vaste parc ombragé entourant le château de Peralada- est un enchantement permanent et l’auditorium créé en son sein une parfaite réussite. Durant les concerts, le charme ne cesse d’opérer comme avec ce vol d’une chauve-souris autour du chef d’orchestre ou le claquement de bec des cigognes qui ont élu domicile au sein du parc. Rien de perturbant d’ailleurs dans ces manifestations de la nature, mais une authenticité fort rafraîchissante.

Le programme, composé par Jonas Kaufmann avec l’Orchestre du Théâtre Royal de Madrid placé sous la baguette de Jochen Rieder, propose en première partie de la musique française, Richard Wagner (au cœur de l’actualité estivale du ténor avec la nouvelle production de Parsifal à Munich) occupant la seconde partie. Après la Bacchanale tirée de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns ouvrant le concert, Jonas Kaufmann parait d'abord un peu sur la réserve avec « Ah, lève-toi soleil » du Roméo et Juliette de Gounod. Sa voix manque de rayonnement et de générosité dans cet air emblématique. Avec l’air de Don José « La Fleur que tu m’avais jetée » de Carmen, chanté avec une certaine précaution et dans un diminuendo moins abouti que d’habitude, l’auditeur demeure encore sur sa faim.

Tout se ranime avec l’air d’Eléazar « Rachel quand du Seigneur » de La Juive d’Halévy. Ici l’artiste semble renaître à ce répertoire, affichant une santé vocale totalement idiomatique, insolente. L’autorité naturelle s’allie à l’intensité émotionnelle. Le père bouleversé apparaît à nos yeux, terriblement humain, écartelé. La voix s’élève de façon souveraine, éclatante, parfaitement alimentée mais aussi particulièrement soucieuse de nuances, bien loin de l’approche uniforme de certains interprètes qui privilégient essentiellement la force et l’éclat. Avec l’air fameux du Cid de Massenet « Ô souverain, ô juge, ô père », l’émission vocale se fait encore plus haute, plus lumineuse et trouve pleinement le chemin du style français. Souhaitons que Jonas Kaufmann aborde La Juive d’Halévy à la scène : ce serait indéniablement un événement majeur.

Une chevauchée des Walkyries, suivie plus tard du prélude du premier acte des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, ouvre la seconde phase du concert. Avec Siegmund de La Walkyrie, le lion doté de cette couleur barytonale qui le caractérise rugit d’ardeur et de passion. Avec la complicité du chef d’orchestre, des Wälse d’anthologie sont indéfiniment tenus. Avec Walter des Maîtres Chanteurs, la poésie s’impose et la ligne se fait plus délicate, plus fine dans sa définition. Mais le clou du concert demeure l’air d’entrée de Lohengrin « In fermen Land » que Jonas Kaufmann complète de ses interventions de toute la fin de l’acte. L’interprétation se hausse à l’exceptionnel, avec un engagement inouï, une profonde compréhension du texte et de la musique : l’émotion paraît à son comble et presque sans retour pour l’auditeur. Avec le premier bis, « Pourquoi me réveiller », un Werther sans pareil (qui n’a rien perdu de son éclat depuis les représentions à l’Opéra Bastille en 2010) se révèle une fois encore à l’aune de l’idéal. Wagner est de retour pour les deux autres bis, « Winterstürme wichen dem Wonnemond » de La Walkyrie et « Traüme », dernier des Wesendonck Lieder, chanté avec une émotion toute contenue et une riche harmonie des couleurs. Cette soirée restera gravée pour longtemps dans la mémoire des heureux festivaliers alors présents à Peralada, c’est évident.










 
 
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