Le Figaro, 4. Dezember 2018
Christian Merlin
 
Verdi: Otello, Bayerische Staatsoper, ab 23. November 2018
 
L’art inouï de Kirill Petrenko
Le chef a dirigé à l’Opéra de Munich un « Otello » d’anthologie.
 
La dernière fois que nous avons vu diriger Kirill Petrenko, c’était aux Proms de Londres début septembre. Si vous ne le connaissez pas encore, nous vous devons une mise en garde : cet homme est dangereux. En fait, c’est une drogue. Au bout de trois mois, il nous fallait notre dose de Petrenko. Raison suffisante pour se rendre à Munich, où il est encore à la tête de l’Opéra en attendant de prendre la direction du Philharmonique de Berlin, afin de l’entendre diriger l’Otello de Verdi. On ne devrait plus s’étonner, et pourtant c’est à chaque fois la même impression d’entendre pour la première fois une oeuvre que l’on connaît par coeur à l’endroit et à l’envers. Le disque excepté, on n’a jamais entendu dans une salle la géniale partition de Verdi à ce degré d’accomplissement. Son obsession du détail lui permet de faire entendre le moindre plan sonore, mais son sens dramatique empêche cette précision de tourner à la radiographie car chaque choix musical est dicté par le texte, la situation, les personnages. Là où les autres se contentent de tonitruer pour impressionner, il dose les effets avec un art inouï (l’équilibre entre orchestre et choeur dans la tempête initiale!), et fait de la musique de chambre.

S’il parvient à cette évidence, c’est parce qu’il dispose d’un des meilleurs orchestres de fosse du monde, l’Orchestre d’État bavarois, qui répond avec souplesse à la moindre de ses inflexions. Et aussi parce qu’il s’appuie sur une distribution interstellaire. Munich est le lieu où l’on est le plus sûr que Jonas Kaufmann et Anja Harteros n’annuleront pas : pardi, ils ne sont pas invités, ils sont à la maison ! Kaufmann est Otello. Il l’est sans histrionisme, sans exagérer les effets, sans assombrir la voix, sans sanglots. En colorant la note en fonction du mot, art suprême. Elle est Desdémone, voix amplement lyrique, phrasé large et noble, que seuls quelques (menus) défauts d’intonation viennent ici et là troubler. Et ces deuxlà ensemble, c’est la garantie d’une complicité électrique.

Iago charmeur et insinuant
Cela suffirait déjà à peupler nos souvenirs pour les décennies à venir, mais il y a plus. On vient de comprendre pourquoi Verdi a d’abord envisagé de titrer son opéra «Iago» : il attendait Gerald Finley. Ce que fait le baryton britannique, on ne croyait pas que c’était possible en scène. Grâce à son intelligence supérieure et à la baguette de Petrenko, il ne cherche pas à s’inventer une voix de stentor qu’il n’a pas, mais utilise la même palette de nuances que dans Mozart : charmeur et insinuant, il murmure autant qu’il tonne, portrait inédit, shakespearien. On n’a plus la place de vous parler de la mise en scène d’Amélie Niermeyer : elle n’en mérite guère, se contentant de ne pas déranger. On pourrait regretter que son théâtre bourgeois soit bien trivial au regard de sa triade de monstres sacrés, mais l’important n’est pas là. L’important, c’est que l’on n’est pas sûr de réentendre un jour Otello aussi bien joué et chanté…










 
 
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