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Opera Online, 20 septembre 2018 |
Thibault Vicq |
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Liederabend, Paris, Théâtre des Champs-Elysees, 20. September 2018
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Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch au Théâtre des Champs-Élysées : le raffinement du Lied allemand, mode d’emploi
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Après avoir brillé cet été dans Parsifal
à Munich, dans le premier acte de La Walkyrie à Gstaad et en récital avec
orchestre au Festival Castell de Peralada, Jonas Kaufmann s’engage dans une
nouvelle saison avec une tournée de récitals en langue allemande, aux côtés
de son fidèle accompagnateur Helmut Deutsch (que nous avions interviewé lors
de son dernier passage à Paris).
Hugo Wolf opte pour les vers de
Heinrich Heine pour élaborer le Liederstrauss, sa première composition,
alors qu’il est encore étudiant au Conservatoire de Vienne. Les confessions,
remises en question et visions oniriques trouvent en Jonas Kaufmann un
déchirant narrateur. Dans « Ich stand in dunkeln Träumen », il progresse en
ligne droite, comme dans un couloir sans fin que seule la science des rêves
peut produire. Avec « Mein Liebchen, wir sassen beisammen », son timbre fait
voyager aux confins de la pensée, du souvenir, accompagné par un piano
reconstituant les jeux d’enfant et les carrousels. Helmut Deutsch est d’une
perinence inouïe dans la conception des univers sonores (nous avons entre
autres deviné une boîte à musique qui s’emballe, une matinée d’automne
pluvieuse à Paris, la fleur de printemps, voire le souffle du vent annonçant
la tempête). Les graves assurés du ténor parviennent à compenser une
précision parfois chancelante (les demi-tons ne pardonnent pas), mais la
restitution dans un subtil filet de voix, bien que vivement mûrie, se dérobe
aux contrastes.
Les deux pièces de Liszt introduisant le concert
puisent elles aussi dans la production de Heine. Jonas Kaufmann s’en
accommode bien mieux, bravant leurs variations aquatiques dans une fébrilité
bienvenue (« Im Rhein, im schönen Strome »). Il se montre généreux de
tendresse, de sincère jovialité, voire d’ironie dans les extraits de Goethe.
Les piquants « t » lancés dans l’air accentuent un accompagnement drôlement
persifleur et incisif. Composé bien plus tard, « Ihr Glocken von Marling »
emplit le Théâtre des Champs-Élysées de la douceur de ses interprètes :
Helmut Deutsch fait tinter sa main droite en glockenspiel, et le chanteur
enveloppe ses sons d’un chuintement délicat. La réminiscence tzigane
alcoolisée de « Die drei Zigeuner » rappelle combien le souffle du ténor
peut continuer à nous surprendre, quelle que soit la nuance, ainsi que la
virtuosité du pianiste dans de brillants élans.
Mahler a réservé les
poèmes de Rückert pour l’écriture des Kindertotenlieder et, comme leur nom
l’indique, des Rückert-Lieder. Ces derniers ayant été pensés à l’origine
pour orchestre, le défi consiste à émettre à partir du seul piano le
foisonnement instrumental. Les accords de septième d’ « Ich bin der Welt
abhanden gekommen » se traduisent sous les mains de Helmut Deutsch en
briques célestes, représentatives du travail exceptionnel qu’il accomplit.
Le ténor ajoute quand il le faut une complémentarité de clarté au toucher
éthéré de son compagnon de scène. La fin triomphante d’ « Um Mitternacht »
souffre cependant de statisme et d’un désir métronomique trop présent. Sans
doute à cause de l’anaphore symbolique du poème ?
Enfin, les Quatre
derniers Lieder de Strauss, réminiscences de 1948 du Lied à la mode du XIXe
siècle, attestent d’un legato léché et grisant de la part des deux hommes.
Malgré tout, le ténor s’égare en effets performatifs qui l’empêchent de
mener à bien son itinéraire vocal. La justesse prend un coup quand le
vibrato s’en va, quand se perd le contrôle des élans, mais les crescendos
poignants de « Beim Schlafengehen » se lisant comme le bruit de la ville
venant perturber le sommeil, apportent un bel éclairage à l’œuvre. Dans « Im
Abendrot », la croissance et la décroissance du bonheur nous emmènent loin,
le temps disparaît en poussière, l’heure tourne sur le clavier. Les forte
satinés de Jonas Kaufmann sont remplacés par la compassion profonde des
notes ultimes, tandis que résonnent encore en tête les piano d’une soirée
exigeante en intentions musicales.
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