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La Croix, le 22/06/2017 |
Emmanuelle Giuliani |
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Verdi: Otello, Royal Opera House, London, 21. Juni 2017
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Jonas Kaufmann habite Otello à Londres
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La prise de rôle de l’Otello de Verdi
par le ténor Jonas Kaufmann faisait frémir d’impatience le monde lyrique. Le
Royal Opera House en a la primeur, à découvrir sur les écrans de cinéma le
28 juin.
Dans l’univers de l’opéra, un artiste aimante tous les
regards, toutes les attentions : depuis une dizaine d’années, le ténor
allemand Jonas Kaufmann est la star lyrique dont les succès – immenses – et
les faiblesses – une récente « retraite » de plusieurs mois due à une
affection des cordes vocales – sont scrutés, commentés, analysés.
Présence magnétique, alchimie entre un timbre sombre, un nuancier raffiné et
une ligne de chant souverain, un physique séduisant… expliquent la passion
que l’artiste suscite. Là où Jonas Kaufmann se produit, trouver un billet
tient du parcours du combattant, d’autant qu’il réserve ses prestations aux
grandes salles internationales (dont l’Opéra de Paris) et festivals
prestigieux.
Les opéras en direct, une aubaine
La
retransmission au cinéma le 28 juin de la nouvelle production d’Otello de
Verdi au Royal Opera House de Londres (1) fait donc figure d’aubaine. Elle
s’inscrit dans une saison alternant ballets et spectacles lyriques suivis
par plus de 700 000 personnes dans 35 pays. Cette politique de conquête
d’une nouvelle audience a été lancée en 2010 par le théâtre britannique qui
a déjà proposé ainsi en direct une quarantaine d’opéras.
La gloire de
Jonas Kaufmann s’est construite autour du répertoire italien du XIXe siècle,
mais aussi des ouvrages de Wagner, sans oublier de magnifiques incursions
dans le patrimoine de l’opéra français. Deux grands rôles manquaient encore
à son palmarès : le Tristan de Wagner et l’Otello de Verdi.
S’il
faudra patienter encore avant de le voir endosser l’habit du chevalier
arthurien, c’est donc à Londres qu’il a revêtu celui du héros shakespearien
qui a inspiré à Verdi son avant-dernier chef-d’œuvre. Le chanteur-acteur en
dévoile les grandeurs, les failles et les douleurs, instillant tour à tour
dans sa voix les éclats de l’héroïsme, les caresses de l’amour, les poisons
de la jalousie et les violences de la folie meurtrière. Un léger manque
de subtilité
Fébrile, inquiet, malade, cet Otello mériterait un écrin
musical et dramatique plus subtil. Pourquoi Antonio Pappano fait-il sonner
aussi bruyamment l’orchestre et les chœurs du Royal Opera House, sollicitant
(à raison) l’énergie mais écartant (à tort) la souplesse ?
Espérons
que la médiation du cinéma installera une balance plus équilibrée entre la
fosse et le plateau, celui-ci révélant d’excellents seconds rôles, tels le
Cassio solaire de Frédéric Antoun et la Desdémone touchante de Maria
Agresta, qui excelle dans les sons filés et mélancoliques… On ne peut en
dire autant de Marco Vratogna, Iago plus conventionnel que diabolique. La
faute en incombe au style un peu relâché du baryton, mais aussi à la mise en
scène de Keith Warner qui ne fait qu’effleurer les relations complexes et
tendues entre les protagonistes.
Là encore, on gage que l’écran, avec
ses plans rapprochés sur les visages, enrichira la palette expressive
indispensable au déroulement fatal de la géniale tragédie verdienne, où
l’intime se mêle sans cesse au grandiose.
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