Opéra magazine
RICHARD MARTET
 
Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 30. Januar 2017
 
Lohengrin
Quand nous l'avions découverte à la Scala de Milan, en décembre 2012, avec déjà Jonas Kaufmann, Evelyn Herlitzius et René Pape, cette production nous avait laissé une impression mitigée (voir O. M. n° 81 p.56 de février 2013). Est-ce de la revoir dans une autre salle ?Avec un autre chef ? Toujours est-il qu'elle nous a davantage convaincus cette fois. Certes, les temps morts n'ont pas disparu comme par miracle et le parti pris de Claus Guth de se concentrer sur le couple Lohengrin/Elsa, au détriment des autres personnages, continue à nous valoir, au début du deuxième acte, un face-à-face Ortrud/Telramund privé d'intensité dramatique. Mais le décor est vraiment splendide, les éclairages suggestifs, et, plus qu'à Milan, nous avons été sensibles à la manière dont le metteur en scène a réussi à préserver l'aspect spectaculaire de l'ouvrage, directement hérité du «grand opéra» à la française. Le finale du II, en particulier, fait vraiment son petit effet. La contribution de Philippe Jordan nous semble, par ailleurs, décisive dans l'impression globalement positive laissée par le spectacle. Là où Daniel Barenboim, à la Scala, alternait merveilles et passages à vide, le directeur musical de l'Opéra National de Paris construit une fascinante architecture d'ensemble, dès un Prélude

Avec un ténor et un chef évoluant sur de telles cimes, le spectateur est comblé !

frémissant de mystère et de sensualité. Rien ne lui échappe, ni les échos de Rienzi et Tannhäuser, ni les anticipations de Tristan und Isolde, Die Walküre et Parsifal, sans que les uns ne prennent jamais le dessus sur les autres. Ce souci d'équilibre, qui s'exerce également entre fosse et plateau, n'est pas pour autant synonyme de retenue ou de prudence. Avec Philippe Jordan, les braises ne refroidissent jamais et, quand elles s'échauffent, c'est pour entrainer l'auditeur dans un flot de lave en fusion, qui le laisse étourdi et béat d'admiration. Le premier à en bénéficier est Jonas Kaufmann, littéralement «porté» par un orchestre en état de grâce vers des sommets encore plus exceptionnels qu'à Milan. De retour après quatre mois d'absence, motivés par un hématome sur les cordes vocales, on sent bien qu'il s'économise dans les deux premiers actes : il n'esquive rien, mais la projection de l'aigu est strictement tenue sous contrôle.

Le III n'en devient que plus miraculeux. Retrouvant la ferveur et la générosité auxquelles il nous a habitués, le ténor allemand joue avec un art consommé d'un timbre à la séduction unique, d'un phrasé tour à tour caressant et martial, d'une palette de nuances d'une variété infinie, pour faire monter la tension jusqu'à un «In fernem Land» d'anthologie. Ni Wolfgang Windgassen, ni Sandor Konya, ni Jess Thomas, ni James King n'avaient atteint pareil accomplissement !
Scéniquement, l'acteur demeure d'une crédibilité bouleversante, dans une mise en scène expressément conçue autour de sa personnalité. Son Lohengrin hésitant et craintif, endossant à contrecoeur l'habit de héros qu'on lui impose, a évidemment quelque chose de déroutant et, pour bien en saisir l'essence, il faut sans doute avoir vu auparavant une production « traditionnelle», avec un Chevalier au cygne «rayonnant », tel que le décrit le livret. Mais comment résister à tant d'intelligence, d'intuition et d'investissement dramatique ?

Un ténor aussi charismatique ne peut que faire de l'ombre à ses partenaires. René Pape soutient sans problème la confrontation, grâce à son autorité naturelle et à un chant unissant beauté et émotion. Martina Serafin tire également très bien son épingle du jeu, en réussissant à donner le change dans un emploi dont elle n'a plus la juvénilité vocale. Tenant son vibrato sous contrôle, la soprano autrichienne allège son émission, avec une science dont on croyait que trop d'Abigaille et de Turandot avaient eu raison. Ortrud et Telramund appellent moins d'éloges.

Plus juste d'intonation qu'à la Scala, Evelyn Herlitzius n'a toujours pas le bas médium et le grave de mezzo nécessaires pour donner tout son relief vocal à la première - ce qu'elle compense, mais en partie seulement, par son allure en scène et ses dons de comédienne. Quant à Tomasz Konieczny, remplaçant Wolfgang Koch, il campe un Telramund sonore mais prosaïque, face au puissant Héraut d'Egils Sains, bien plus à son affaire ici qu'en Grand Prêtre dans Samson et Dalila, en début de saison.

Qu'importent, de toute manière, les réserves ? Avec un ténor et un chef évoluant sur de telles cimes, le spectateur est plus que comblé !






 
 
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