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La Croix, le 26/01/2017 |
Bruno Serrou |
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Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
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Lohengrin, héros craintif aux pieds nus
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Née à la Scala de Milan où elle fit
l’ouverture de la saison 2012-2013, la production par Claus Guthdu Lohengrin
de Wagner marque le retour sur scène du ténor Jonas Kaufmann.
À
l’opposé du fier chevalier médiéval à l’armure éclatante de l’iconographie
wagnérienne, le Lohengrin selon Claus Guth est un poignant antihéros. Certes
alambiquée, visitée un peu vigoureusement par la psychanalyse, la vision du
metteur en scène allemand se révèle puissante et originale tant elle nous
interroge.
Dès l’acte I, Lohengrin y chante son air d’entrée couché à
même le sol, dos au public, pieds nus, grelottant convulsivement au milieu
de la foule. En lieu et place du cygne qui devrait conduire l’attelage
étincelant du héros, quelques plumes volettent parcimonieusement… Un être
qui titube, chancelle, se relève
Venu de Montsalvat, château
légendaire où repose le Graal, le fils du chevalier Parsifal (1) est un être
en quête de lui-même qui titube, chancelle, se relève, cherchant le contact
avec une nature à laquelle il cherche à se raccrocher. Son statut de sauveur
l’accable au point qu’il paraît libéré lorsque Elsa finit par lui poser la
question fatidique : d’où vient-il, quel est son nom ?
Située dans la
cour d’un édifice austère, l’action se déroule au temps de la genèse de
l’opéra, en 1848-1850, au moment de la confédération allemande et de la
révolution qui exila Wagner de Dresde en Suisse. La nuit nuptiale d’Elsa et
Lohengrin se passe étrangement au milieu d’un jardin japonisant, les pieds
dans l’eau : saisissant contraste entre deux êtres isolés face à la rigide
impuissance du monde qui les entoure et à la haine d’un couple vénéneux,
Ortrud et Telramund, qui ourdit leur chute.
Un chant raffiné,
un orchestre de feu
Pour son retour à la scène après des
mois d’absence, Jonas Kaufmann est l’incarnation parfaite du Lohengrin selon
Claus Guth. De sa voix qu’il colore avec art, de son nuancier à l’absolue
perfection, et même dans les moments de fragilité, le ténor chante avec
raffinement, autant dans le mezza-voce que dans l’ardeur, avec des reflets
cuivrés.
La soprano Martina Serafin est une Elsa perdue, juvénile
mais sans naïveté, à l’intonation délicate et jamais vibrée. Contrairement à
la soprano Evelyn Herlitzius, voix acide et timbre trop clair pour le rôle
d’Ortrud, mais toutefois fascinante, féline, venimeuse, au côté de son
double maléfique, le Telramund impressionnant du baryton-basse Tomasz
Konieczny. La distribution est complétée par la basse René Pape, monarque
phénoménal, et par le baryton-basse Egils Silins, infaillible héraut.
Mais le véritable vainqueur de la soirée est dans la fosse, cet
orchestre de feu, dirigé avec délectation par Philippe Jordan, tandis que,
sur le plateau, le chœur de l’Opéra manifeste une grande cohésion.
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