|
|
|
|
|
artistik rezo, 22 janvier 2017 |
Hélène Kuttner |
|
Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
|
|
Jonas Kaufmann revient en héros ailé à l’Opéra Bastille
|
|
Dans cette production de la Scala de Milan, le
chouchou des scènes lyriques, Jonas Kaufmann, revient à Paris dans le rôle
de Lohengrin de Richard Wagner, un chevalier conduit pas un cygne pour
sauver de l’injustice une jeune fille innocente. Mis en scène par Claus Guth
et dirigé par Philippe Jordan, le spectacle fait la part belle aux
chanteurs, à l’orchestre et aux choeurs qui sont éblouissants.
Les
héros sont fragiles
Et les chanteurs d’opéra aussi. Car depuis quatre
mois, Jonas Kaufmann, star de l’art lyrique en raison de son talent, de sa
sensibilité dramatique et de sa gentillesse, avait déclaré forfait en se
retirant de la scène en raison d’une infection sur les cordes vocales. Trop
de pression, trop de tournées … la coupe était pleine et il avait d’ailleurs
communiqué une très honnête missive au public où il justifiait son absence
pour raisons médicales. On le retrouve aujourd’hui, pour le plus grand
bonheur du public français qui l’adore, en bonne forme et interprétant un
fort beau personnage qu’il incarne de manière certes mesurée, sans prise de
risque ni débordement, mais avec une élégance et une douceur remarquables,
notamment dans le mémorable et délicieux « In fernem Land » de l’Acte III ou
le héros révèle son secret.
Un double de Richard Wagner
On a
beaucoup glosé sur la ressemblance entre Lohengrin, sauveur surnaturel aux
pouvoirs magiques, malmené par le peuple terrien qui ne le comprend pas et
contraint à l’exil perpétuel vers monde supérieur, et le compositeur. La
posture wagnérienne est pleinement romantique, tel l’Albatros de Baudelaire,
majestueux et maladroit poète qui claudique avec ses ailes trop grandes
parmi les hommes. Lohengrin, donc, ce héros céleste et bienfaiteur, envoyé
de Dieu, atterrit au grand dam des bourgeois d’Anvers, en plein Moyen Age,
auprès de la douce Elsa de Brabant pour clamer son innocence. Ne
l’accuse-t-on pas d’avoir tué son propre frère ? Fédéric de Telramund,
poussé par sa femme Ortrud, s’en donnent à coeur joie dans la mauvaise foi
la plus perverse pour pouvoir accéder plus vite au trône du Duc de Brabant.
Ortrud, surtout, espèce de Lady Macbeth, fomente les coups les plus vils en
ensorcelant son époux.
Une partition céleste
Dès le prélude,
la poétique des harmoniques orchestrales agit comme un charme puissant,
porté par les cordes qui vibrent comme un roulis de vagues. Dans cette
nouvelle musique, dont le compositeur assume aussi le livret, notes et mots,
accords et répliques, sont intrinsèquement liés par un projet commun : un
opéra total au service d’un art total porté par le héros. Le metteur en
scène Claus Guth se départit d’une fantasmagorie mythologique et place ses
personnages dans une enceinte germanique austère, celle de la Révolution
industrielle, contemporaine de Wagner, au mitant du 19° siècle. Lumières
rasantes et précision d’orfèvre flamand, le décor et les costumes de
Christian Schmidt dessinent une élégante simplicité. Martina Serafin propose
une jeune Elsa de Brabant déterminée et pure, technique vocale irréprochable
et robe immaculée. Tomasz Konieczny (Frédéric) et Evelyn Herlitzius (Ortrud)
incarnent le couple machiavélique avec un brio tout à fait impressionnant,
lui par une révolte agressive et pleine de veulerie, elle témoignant d’un
exceptionnel déchaînement vocal qui fait de sa prestation un pur moment de
bravoure dramatique et musicale.
Le cygne est à terre
Jonas
Kaufmann-Lohengrin, héros romantique et misérable, apparaît au tout début en
posture foetale, offrant au public son dos et ses fesses. De sa chute, lesté
par le cygne, il gardera la trace amère d’une déchéance terrestre et d’un
regard méprisant des hommes. Humble et discret, effacé et soucieux, le
chanteur l’incarne avec fragilité et humanité. D’ailleurs, Kaufmann et son
metteur en scène Guth font du héros un être contemporain, investi d’une
mission mythique mais vibrant de mille émotions humaines, meurtri par un
secret que les autres souhaitent violer bruyamment. Et alors que dans une
amoureuse solitude il peut enfin saisir le coeur de sa fiancée, parmi les
marécages d’un Eden tropical automnal, cette dernière le force à dévoiler
ses origines, c’en est fini de l’amour et de la fusion des âmes. Choeurs
sublimes, orchestre à l’unisson, le chef Philippe Jordan fait sonner ses
musiciens en sculptant toutes les nuances, tous les tempi de la partition.
Du travail d’orfèvre en tous cas, qui met en valeur de formidables artistes.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|