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Le Monde journal, 19/01/2017 |
Marie-Aude Roux |
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Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
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Jonas Kaufmann revient en chevalier sans armes
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Absent des scènes pendant cinq mois, le
ténor allemand incarne Lohengrin à l'Opéra Bastille
La
planète lyrique, en deuil depuis cinq mois, n'osait croire tout à fait à la
bonne nouvelle. Oui, Jonas Kaufmann, 47 ans, était bien arrivé à Paris fin
décembre 2016 ; oui, il participait aux répétitions de Lohengrin de Wagner,
oui, il avait chanté à la générale du 14 janvier à l'Opéra Bastille. Car
c'est à la France que le grand ténor allemand, absent des scènes lyriques
pour cause d'avarie vocale, a réservé son retour à l'opéra, lui qui avait
annulé à l'automne le rôle-titre des Contes d'Hoffmann d'Offenbach. En
cause, un hématome sur les cordes vocales, lequel avait provoqué
l'éclatement d'une petite veine : il fallait qu'il soit entièrement résorbé
afin d'éviter toute lésion irréversible.
Mercredi 18 janvier, Jonas
Kaufmann allait-il renouveler le miracle de la Saint-Ambroise, qui le vit
triompher le 7 décembre 2012 à La Scala de Milan dans cette même mise en
scène de Claus Guth ? Il rechante, et son talent est intact. Mais il semble
qu'au-delà de la blessure physiologique une blessure psychologique demeure
encore. Cela tient à très peu de chose, un moindre rayonnement de la voix,
des graves moins profonds, une ligne plus retenue et surtout une prudence
dans la projection, notamment durant les deux premiers actes. Tristesse
ancestrale
Le ténor le plus demandé sur les scènes internationales
reste cependant un chanteur hors pair, un artiste d'une classe folle. Beau
et fragile dans ce Lohengrin sans triomphe, il porte en lui une tristesse
ancestrale. Acteur dans le son, dont l'extrême sensibilité culmine au
dernier acte, où son art merveilleux de Liedersänger se pare de tons en
demi-teinte, de pianissimos suspendus, qui font venir les larmes aux yeux.
Magnifique " In fernem Land " (" Dans un pays lointain "), confession et
testament spirituel, qui signera enfin le vrai retour du grand Kaufmann.
Le reste de la distribution est superbe, à commencer par l'Ortrud
d'Evelyn Herlitzius, ovationnée par le public, méchante reine et maîtresse
dominatrice (le piano " lisztien " qu'elle professe à l'aide d'une badine
évoque l'inflexible Cosima, fille du compositeur hongrois et seconde épouse
de Wagner), dont les moyens illimités œuvrent au service d'une incroyable
puissance chtonienne. Aussi carnassier qu'elle, le saisissant Telramund de
Tomasz Konieczny, homme vulnérable, pétri de haine, dont la vindicte explose
avec la virulence des faibles, face à la calme autorité de René Pape en
Heinrich, roi de droit divin par le simple naturel de sa prestance et de son
timbre d'airain. Une souveraineté renforcée par l'autorité du Héraut
d'armes, Egils Silins. Quant à l'Elsa de Martina Serafin, voix claire et
fiers aigus, elle a semblé manquer parfois d'engagement scénique, comme dans
les dernières scènes qui la voient renier son amour et le vouer à sa perte –
sans doute l'effet de la première.
Intelligente, poétique, la mise en
scène de Claus Guth rompt avec des générations de " chevalier au cygne ". Le
décor unique de Christian Schmidt, vaste cour au-dessus de laquelle courent
les entrées d'appartements privés reliés par une balustrade, est certes le
théâtre des conflits en jeu dans l'œuvre en ce milieu du XIXe siècle, qui a
vu l'échec des espérances soulevées par 1848 et se prépare à nouveau à la
guerre. Mais l'Allemand tisse aussi la trame polysémique de la question des
origines, sortie des légendes allemandes des frères Grimm. En faisant de
Lohengrin, fils de Parsifal, un enfant sauvage (Wagner s'était intéressé au
cas de Kaspar Hauser, trouvé à Nuremberg en 1828), il confère au héros une
émouvante étrangeté. Ce chevalier recroquevillé au beau milieu de la foule,
pieds nus, sans royaume et sans épée, presque sans mémoire, à demi
spasmophile, repartira comme il est venu, né conjointement d'un fantasme
collectif de salvation et de la projection hystérique d'Elsa, accusée du
meurtre de son jeune frère Gottfried.
Les costumes en noir et blanc
opposent les esprits forts à ceux qui rêvent, les lumières monochromes
éclairent les décors comme des états d'âme, tandis qu'un piano noir
omniprésent symbolise le lieu de tous les (sé)vices. Pour le cygne, quelques
plumes tombées çà et là, un bras ailé sur une silhouette qui passe, et les
eaux d'un lac entouré de roseaux où les amoureux finiront par se perdre (on
pense à Louis II de Bavière, roi fou mort noyé). Dans la fosse, Philippe
Jordan a prouvé derechef qu'il est un magicien, dès les premières minutes du
" Prélude " d'une transparence à la fois tendre et duveteuse. Une fois
encore, l'Orchestre et le Chœur de l'Opéra de Paris ont été tout simplement
éblouissants. |
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