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Le Figaro, 19/01/2017 |
Par Christian Merlin |
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Wagner: Lohengrin, Paris, Opera Bastille, 18. Januar 2017
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Lohengrin, le retour de Kaufmann en héros
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Pour la première de l'œuvre de Wagner à
Bastille, le ténor a démontré que son timbre était inaltéré. Et prouvé qu'il
est un artiste d'exception.
Il y a eu deux moments inoubliables lors
de la première de Lohengrin à l'Opéra Bastille, représentation par ailleurs
solide et homogène. Le début et la fin. On les doit aux deux moteurs de la
représentation, Philippe Jordan et Jonas Kaufmann. Amoureusement ciselées
par le bras si élégant du directeur musical, les cordes de l'Orchestre de
l'Opéra ont fait des miracles dans le prélude, malgré les toux indécentes de
lyricophiles pour qui on a le droit de faire du bruit tant que cela ne
chante pas…
La mise en scène de Claus Guth est une relecture
psychanalytique transposée dans la bourgeoisie allemande du XIXe.
Le
dosage infinitésimal des violons dans l'aigu, rarement entendu à ce degré de
perfection autrement qu'au disque, faisait entendre «l'éther vaporeux qui
s'étend» dont parlait Liszt. Cordes et bois seront les points forts de la
soirée, plus que des cuivres toujours un peu trop clairs et tranchants,
comme le Chœur. La direction cultivera cette marqueterie, parfois au
détriment du fondu, mais avec tellement d'art. On a pu vérifier la cote
d'amour du chef lorsque, au retour dans la fosse après l'entracte, un
spectateur s'est avisé de le huer: a retenti alors un murmure d'indignation
suivi d'une salve de bravos!
Puis la représentation s'est déroulée,
d'excellente facture sans aller jusqu'au mémorable. Expressément souhaitée
par le ténor qui s'y sent à l'aise, la mise en scène de Claus Guth vue à la
Scala et à la télévision est une relecture psychanalytique transposée dans
la bourgeoisie allemande du XIXe, ce que Wagner justifie parfaitement.
Cohérente et lisible plus que subtile, elle fonctionne avec rigueur. On a de
sérieuses réserves sur l'Elsa de Martina Serafin, au vibrato lâche et à la
voix trop lourde et insuffisamment juvénile. Le couple noir formé par Evelyn
Herlitzius et Tomasz Konieczny est maléfique à souhait, oubliant les règles
du beau chant pour privilégier l'impact. Au disque, ce serait insupportable;
sur scène, cela donne le frisson. Et le Roi Henri de René Pape est la classe
personnifiée, même s'il doit lutter avec la taille de la salle et les aigus
du rôle. Mais, évidemment, tout le monde n'avait qu'une question: comment
va-t-il chanter? Car il chantait!
L'orchestre hypnotisé
Jonas Kaufmann s'est présenté avec son timbre inaltéré, immédiatement
reconnaissable, son art du mot et du legato, sa présence. Il semblait
toutefois prudent, comme s'il s'économisait ou se testait, faible en volume
et en projection, ne donnant pas comme d'habitude l'impression d'en avoir
encore sous la pédale. Il est vrai que cette fragilité cadrait à merveille
avec le portrait d'antihéros inadapté qui est le point de départ de cette
mise en scène.
On s'apprêtait donc à un compte rendu nuancé, lorsque
est arrivée la scène finale. Les lumières ont baissé, Jordan a hypnotisé
l'orchestre et le ténor a murmuré son récit du Graal, suspendant le temps
pendant que 2700 personnes retenaient leur souffle. Ce qui s'est passé là
non seulement en termes de nuances musicales et de couleurs vocales, mais de
pur concentré d'émotion, on s'en souviendra toute sa vie. Cela suffirait à
faire de Jonas Kaufmann, quoi qu'il arrive, un artiste d'exception, et à
nous conforter dans l'idée qu'avec dix minutes de magie sur trois heures de
représentation, on a largement gagné sa soirée. |
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