RevOpéra, 11 octobre 2017
 
 
Verdi: Don Carlos, Paris, 10. Oktober 2017
 
Distribution éblouissante pour la première de Don Carlos à l’Opéra de Paris
C’est l’événement lyrique le plus attendu de la saison 2017/2018 : un grand ouvrage du répertoire donné dans sa (trop rare) version française, une pléiade de stars dans la distribution, et un parfum de soufre avec la présence de Krzysztof Warlikowski à la mise en scène. Depuis quelques jours, la tension était même montée d’un cran. Sonya Yoncheva, absente à la répétition générale du 7 octobre, serait-elle présente ce soir ? La première se tiendrait-elle, alors qu’un préavis de grève avait été déposé pour la journée du 10 octobre ?

Don Carlos dans sa version française a été créé en 1867 à l’Opéra de Paris, mais n’a presque jamais été donné dans la capitale au cours des dernières décennies, si ce n’est une production au Palais Garnier, fraichement accueillie en 1986, et une autre en 1996 au Théâtre du Châtelet avec Roberto Alagna. La version présentée est celle dite « originale » de 1866, sans ballet, soit plus de 4 heures de musique. On se réjouit ainsi de retrouver l’acte I dans son intégralité, ainsi que le premier tableau de l’acte III, essentiel pour la compréhension de l’oeuvre, dans lequel on voit Elisabeth demander à Eboli de prendre ses vêtements et de se faire passer pour elle.

Le premier challenge de cette production était de réunir une distribution capable de rendre justice à la langue française, et de ce point de vue, c’est une grande réussite. Certes, entre la diction impeccable de Ludovic Tézier, Jonas Kaufmann et Sonya Yoncheva, et celle, moins irréprochable d’Elina Garanca ou Ildar Abdrazakov, il y a un monde. Mais le défi d’ensemble est relevé et il y a tout lieu de se réjouir que notre Opéra national continue de rendre hommage au grand répertoire français, d’autant plus que l’on annonce des Huguenots et des Troyens pour la saison prochaine.

Mise en scène insignifiante de Warlikowski

La deuxième interrogation résidait dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Si le metteur en scène et son équipe ont été copieusement hués ce soir aux saluts, première parisienne oblige, ne nous y trompons pas : il n’y a pas lieu d’être choqué en quoi que ce soit par la proposition très consensuelle, mais pas bien inventive, du metteur en scène polonais. Ce dernier a choisi, on pouvait s’en douter, de considérer Don Carlos comme un drame intimiste, et de s’intéresser au plus près à la psychologie des personnages. Rien de neuf dans cette vision, déjà imaginée par de nombreux metteurs en scène avant lui.

Pire encore, la réalisation nous est apparue ce soir comme très paresseuse et assez incohérente : succession de scènes aux airs de déjà vu (personnages qui fument, canapés chic et tenues glamour, lavabo dans la prison de Don Carlos), voire complètement gratuites (quel sens donner à cette scène où Eboli et ses suivantes sont téléportées dans une salle de gym avec démonstration d’escrime à l’appui ?). A l’actif de Warlikowski, on retiendra tout de même de jolis éclairages ou une subtile utilisation de la vidéo. Encore une fois, beaucoup de bruit pour rien ?

Une distribution qui tient toutes ses promesses, avec une stupéfiante Sonya Yoncheva

Dans le rôle-titre, Jonas Kaufmann avait avoué avoir quelques problèmes à rentrer dans le rôle en français, après voir incarné maintes fois le Don Carlo italien. Pour autant, jamais le ténor allemand n’apparaît ce soir en difficulté, l’incarnation est superbe de nuances et de musicalité. Bien sûr, on se le dit à chaque fois, l’Opéra Bastille est maintenant trop immense pour lui et il faut parfois tendre l’oreille. Mais l’incarnation est magnifique, notamment dans un duo final avec Elisabeth, à pleurer, où les pianissimi murmurés par Jonas Kaufmann ont fait merveille.

Sonya Yoncheva faisait ce soir ses débuts en Elisabeth de Valois, et cette prise de rôle restera sans nul doute comme une étape marquante de sa carrière. A vrai dire, on ne s’attendait pas à une telle démonstration, dans un rôle si exigeant qu’Anna Netreko refuse de l’aborder ! La soprano bulgare a été éblouissante à tous points de vue : une diction à se pâmer, une précision vocale qui rend justice à la moindre appoggiature de la partition (et qui donne à l’auditeur parfois l’impression de redécouvrir certaines parties du rôle), une projection incroyable, une homogénéité des registres (des graves sonores aux magnifiques messa di voce dans l’aigu) et une présence magnétique qui fait qu’on ne voit qu’elle dès qu’elle entre sur scène. Son air final à l’acte V a été le grand moment de la soirée, nous laissant totalement scotché à notre siège ; on n’avait pas entendu ceci depuis Anja Harteros, l’autre grande titulaire actuelle du rôle. Bravissimo !

On savait Ludovic Tézier époustouflant en Rodrigo, il a été ce soir tout simplement inoubliable en Rodrigue, déclenchant un tonnerre d’applaudissements mérité aux saluts. Le baryton avait déclaré dans une interview donnée quelques jours avant la première s’être particulièrement bien entendu avec Warlikowski, ce que l’on ressent en regardant le spectacle. Chez Tézier, tout désormais fascine : la projection, la diction, et, comme Yoncheva, une facilité et une évidence dans l’incarnation. Nous ne sommes pas près d’oublier sa grande scène de l’acte IV (« Carlos, écoute… Ah! Je meurs l’âme joyeuse »), à faire pleurer les pierres.

Elina Garanca faisait également ce soir ses débuts en Eboli, ainsi que dans Verdi. La voix s’est considérablement développée dans l’aigu, mais reste fragile dans le grave. Et pourtant, la mezzo-soprano lettone a ce soir proposé une incarnation marquante, grâce notamment à une grande agilité (on a rarement entendu « Au palais des fées » de l’acte I si précisément rendu). Son « Ô don fatal » de l’acte IV a littéralement tétanisé le public ; il était en effet difficile de résister à un tel déversement de fureur et de sensualité.

Face à ce quatuor de choc, Ildar Abdrazakov est apparu un rien en rentrait dans le rôle du roi Philippe II. Pourtant, là encore, beaucoup de beautés musicales étaient à signaler, le chanteur donnant à voir un portrait renouvelé du personnage, peut-être moins « royal » qu’à l’accoutumée, mais très fragile et émouvant. Le grand inquisiteur de Dmitry Belosselskiy est apparu terrifiant comme il se doit, bien que peu épaulé par la mise en scène, et le reste de la distribution impeccable jusqu’au moindre petit rôle.

Comme à son habitude, Philippe Jordan, a ciselé la partition de Verdi, pour en dévoiler des trésors inconnus (en termes d’instrumentation notamment), réussissant particulièrement les passages les plus intimistes de l’oeuvre. En ce sens, il faut reconnaître à sa direction une grande cohérence avec la mise en scène. Il est en revanche à regretter, à certains moments, un léger manque de punch, notamment dans la grande scène de l’autodafé.

Au final, le bilan est clair et net : pari totalement réussi pour la distribution, déception prévisible pour la mise en scène, sans que ce ne soit finalement trop gênant pour l’équilibre d’ensemble.

Ce Don Carlos n’a de toute façon pas dit son dernier mot : il faudra en effet aller voir la « deuxième » distribution, dans laquelle figurent notamment le talentueux ténor Pavel Černoch, la soprano Hibla Gerzmava (qui a fait une très forte impression à la répétition générale), et toujours Ludovic Tézier.

Par ailleurs, l’Opéra de Paris proposera en 2018/2019 la version italienne du chef d’oeuvre de Verdi, avec la même mise en scène de Warlikowski et une distribution où l’on annonce Roberto Alagna, Aleksandra Kurzak ou encore Anita Rachvelishvili en Eboli. Enfin, l’Opéra de Lyon propose également cette saison un Don Carlos, ce sera en mars 2018, avec une belle prise de rôle : Stéphane Degout en Rodrigue.






 
 
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