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ConcertoNet |
Laurent Barthel |
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Festspiel Gala, Baden-Baden 22. Juli 2016
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De l’opéra à profusion
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Clôture de saison annoncée très glamour à Baden-Baden, en forme de catalogue
d’étoiles du chant : Anja Harteros, Elīna Garanca, Jonas Kaufmann et Bryn
Terfel. Un événement, sous réserve toutefois que les quatre intéressés
viennent et chantent vraiment, ce qui a presque été le cas puisque seule
Elīna Garanca s’est désistée, remplacée au dernier moment par la mezzo russe
Ekaterina Gubanova. Ambiance cossue, filmée par la chaîne de télévision
allemande ZDF, qui a déployé pour la circonstance son arsenal technologique
des grands jours : un plateau à peine moins construit et bigarré que pour un
spectacle de variétés, dont tous les dégagements servent à installer des
caméras télécommandées. Les évolutions autant en largeur qu’en hauteur de
ces dispositifs sophistiqués manquent toutefois de discrétion, surtout
l’agaçant petit robot qui n’arrête pas de coulisser de droite et de gauche à
l’avant-scène, juste devant les pieds ces chanteurs. Quant à la chaleur
dispersée depuis les projecteurs supplémentaires, par une soirée de surcroît
météorologiquement orageuse, elle fait monter la température intérieure du
Festspielhaus de quelques conséquents degrés par rapport aux conditions de
climatisation habituelles.
Pour donner à chacun l’occasion de chanter
suffisamment, les intermèdes orchestraux ont été réduits en nombre. La
Badische Staatskapelle, orchestre attitré de la fosse de l’Opéra de
Karlsruhe, brille par son expérience de véritable orchestre lyrique, rompu à
tous les exercices d’adaptation requis dans un théâtre qui conserve une
riche activité de répertoire. Tout n’est pas parfait (les conditions sont
difficiles, en particulier la température et l’hygrométrie ambiantes) mais
ces Intermezzi (Cavalleria rusticana, Manon Lescaut) voire une élégante
Valse du Faust de Gounod sont très présentables, sous la direction efficace
de Marco Armiliato. L’accompagnement des airs est de surcroît toujours
attentif au chant, et seuls quelques rares accidents de parcours sont à
déplorer (dont d’assez vilains violoncelles, en fait surtout mal accordés,
pendant le "E lucevan le stelle" de Jonas Kaufmann).
Si l’arrivée de
chacune des stars de la soirée est saluée par une salve d’applaudissements
chaleureuse, seule l’entrée en scène du ténor bavarois s’accompagne d’un
petit frisson supplémentaire, soupir d’extase nettement perceptible, poussé
par une frange majoritairement féminine du public... Cette fois,
l’attraction lyrique majeure du moment, dont l’absence lors de récentes
représentations de la Walkyrie en concert avait suscité ici-même de
nombreuses frustrations, est bien là ! Souriant, toujours un peu surexcité,
ce qui se traduit par des multiples sautillements, étriqué par un curieux
smoking fashion taillé trop petit qui ne lui avantage que modérément la
silhouette, le beau Jonas attaque tout en velours et nuances, dans un "E
lucevan le stelle" de Tosca dont l’émotion s’étrangle au cours d’une belle
série de pianissimi détimbrés. Tout est prémédité et construit dans cet art
du chant atypique, qui consiste à émettre les notes en force en poussant la
colonne d’air contre le palais, ce qui permet d’étouffer et de décolorer le
son à volonté. Reste à éviter les couacs qui peuvent découler de ces
tensions sur des notes tenues trop longtemps, en basculant au dernier moment
l’aigu vers les résonateurs, sauvetage parfois réalisé vraiment in
extremis... Aucun accident n’est à déplorer ce soir, et pourtant on n’en pas
toujours bien loin. Malheureusement, à notre sens on fait trop vite le tour
de cette voix, en matière de prévisibilité voire de sex-appeal trop
ouvertement appuyé. Un peu comme pour certains crooners, dans d’autres
répertoires. Une ambiguïté dont Kaufmann joue d’ailleurs sciemment dans son
bis : un "Parla più piano" de Nino Rota (une chanson réutilisée dans le film
Le Parrain), qui vaut son pesant de sirop langoureux, chanté ostensiblement
piano, mais au risque bien réel, sans micro, de se retrouver couvert par
l’orchestre. Petite suggestion personnelle pour conclure le prochain gala de
Jonas Kaufmann : pourquoi pas Il mondo, de Jimmy Fontana ?
Plus
sérieusement : les trois duos du ténor, respectivement avec Ekaterina
Gubanova dans Adriana Lecouvreur et Cavalleria rusticana, puis avec Anja
Harteros dans Otello, sont de grands moments de chant, et même d’une
intensité véritablement théâtrale malgré les contraintes du concert. Notre
préférence va à l’incarnation de Turiddu, un rôle qui va à Kaufmann comme un
gant (aussi bien que Don José dans Carmen) et qu’il endosse avec une vraie
sincérité, sans chichis inutiles. Maurice de Saxe manque en revanche de
luminosité : un enjôleur davantage qu’un séducteur princier. Quant au duo
d’Otello, il laisse entrevoir un beau potentiel, avec des aigus léonins dont
la couleur particulière rappelle fugitivement ceux de John Vickers, mais
sans la puissance de ce dernier. Ce duo est aussi l’occasion de comparer la
technique inébranlable d’Anja Harteros, d’un naturel extraordinaire, et
celle plus vacillante et fabriquée de son partenaire, encore
qu’indiscutablement efficace.
La palme du beau chant reviendra tout
au long de la soirée à Anja Harteros, aussi souveraine dans Wagner (l’air
d’entrée d’Elisabeth dans Tannhäuser) que dans Verdi (Don Carlo et le Bal
masqué). A ce degré de maîtrise on ne peut que rester muet d’admiration, y
compris même pour l’engagement scénique d’une chanteuse qui n’est pas une
comédienne née mais qui semble chaque année plus engagée, consumée d’une
fascinante énergie intériorisée. Excellent confrontation aussi avec le
Scarpia monstrueux de Bryn Terfel, moment de théâtre d’une intensité bien
rodée depuis une toute récente et brillante série de Tosca à Munich. Joli
bis aussi, d’un charme entêtant (Suzel, dans L’Ami Fritz de Mascagni).
Pour ce qui est de Bryn Terfel, une certaine méforme paraît préoccupante
tout au long du programme. Le volume est impressionnant, le chanteur et le
comédien sont d’une présence physique exceptionnelle mais le médium de la
voix paraît curieusement cartonné, incolore, proche du parlando. Le "Veau
d’or" de Faust est méphistophélique à souhait mais assez continuellement
laid. Mefistofele de Boito a davantage d’allure, et l’"Ella giammai m’amo"
de Philippe II de Don Carlos baigne dans une atmosphère crépusculaire
touchante, même si là encore la voix ne suit plus tout à fait. Désopilant
bis: "If I were a rich man", extrait du Violon sur le toit.
La mezzo
Ekaterina Gubanova demeure une interprète à suivre : belle prestance
physique, voix puissante et très égale sur l’ensemble de la tessiture, un
peu de réserve froide et un certain relâchement de diction (sauf
curieusement dans le bis : une Habanera de Carmen impeccable) restant à
déplorer. Eboli de Don Carlos est à sa portée, même si "O don fatale", bien
négocié mais dans une certaine indifférence, ne convainc pas totalement.
Comment trouver une ultime friandise unissant ces quatre stars ? Ici on
n’a pas hésité à tripatouiller le célèbre "Dein ist mein ganzes Herz" de
Lehár, Jonas Kaufmann se retrouvant dès lors en compétition avec trois
autres voix qui tour à tour lui volent ses phrases. Un ultime moment de
complicité, bien joué, divertissant, et toujours de bon goût. Somme toute un
gala généreux et riche en grands moments: la fête annoncée a bien eu lieu !
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