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Concert Classic |
Par François LESUEUR |
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Bizét: Carmen, Chorégies d'Orange, 8. Juli 2015
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Kaufmann conquiert le Théâtre Antique
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Carmen encore et toujours, Carmen l'opéra de tous les superlatifs, le plus
joué, le plus populaire, Carmen idéale pour les Chorégies, Carmen à nouveau
à l'affiche de l’édition 2015. Après Larin/Monzon, Alvarez/Monzon et
Alagna/Monzon, c'est au couple Kaufmann/Aldrich de donner de la voix et du
corps à ce drame passionnel sur fond d'Espagne aride.
Loin du
folklore habituel, le spectacle signé Louis Désiré (scénographe du Rigoletto
monté en 2011) placé sous le signe du destin, avec cet immense jeu de cartes
sur lequel évoluent les personnages, opte pour la sobriété sans chercher à
faire dire à l’œuvre autre chose que ce qu'elle donne. La mise en scène
profite de chaque pause orchestrale pour souligner le propos, de l'ouverture
où Carmen charme Don José en l'arrosant de fleurs, à l'entr'acte du 3ème
acte durant lequel Micaëla surprend les ébats de Carmen et José, en passant
par celui du 4ème acte au cours duquel Escamillo habille Carmen de son
capote de paseo, conquise tel un taureau dans l'arène, et évite les temps
morts. Simple et sans accroc le travail est honnête à défaut d'être novateur
; mais faut-il le rappeler, ce n'est pas à Orange que l'on vérifie l'état de
santé de la scène lyrique. Orange c'est avant tout la fête de la voix !
En confiant la cigarière et le soldat à deux grands artistes, qui ont
déjà interprété le titre auparavant et même ensemble, au Met en 2010, aussi
séduisants à écouter qu'à regarder, le directeur des Chorégies ne s'est pas
trompé. La mezzo canadienne Kate Aldrich très présente sur le sol français,
qui vient de chanter le rôle à Lyon dans l'audacieuse production d'Olivier
Py, est une belle Carmen, à la voix sombre et bien timbrée, sans doute moins
libre et affranchie que celle de Béatrice Uria-Monzon que le public n'est
pas prêt d'oublier, mais dont le caractère binaire, la froide détermination
et la fermeté des décisions s'accordent à cette héroïne imprévisible et
détachée : ses « cartes » aux accents prémonitoires et son dernier
affrontement face à un homme qui ne compte plus, sont de ceux des grandes
titulaires.
Pour ses débuts in loco dans un opéra complet, Jonas
Kaufmann (1) ne pouvait trouver meilleur rôle que Don José qu'il fréquente
depuis 2006 et ne cesse d'approfondir. Son timbre fauve aux reflets irisés,
la puissance de son émission, la souplesse des phrasés et la magie de ses
aigus, jusqu'aux plus impalpables comme celui si convoité de la « Fleur »,
miraculeusement filé et chanté pianissimo, font la force de son inoubliable
interprétation. Toujours aussi beau et crédible en scène, sincère et
modeste, son José n'en a que plus d'impact, authentique nigaud capable du
pire, d'une justesse terrible, que sa Carmen ait le visage d'Antonacci (la
plus complète), de Kasarova, de Kožená, de Garanča, de Rachvelischvili ou
d'Aldrich.
Autre carte maîtresse de cette distribution, l'excellent
Escamillo de Kyle Ketelsen que nous n'imaginions pas – à tort – dans un tel
rôle, après son Leporello poisseux imaginé par Tcherniakov (Aix 2010). Sans
grande surprise Inva Mula, jupe bleue et natte tombante, se tire
honorablement de Micaëla, Hélène Guilmette et Marie Karall mettant toute
leur jeunesse au profit de Frasquita et de Mercédès. Le Zuniga de Jean
Teitgen tire son épingle du jeu grâce à sa voix bien projetée et sa fine
caractérisation, le duo Armando Noguera (Moralès) et Florian Laconi
(Remendado) marchant également très bien.
Comme une partie du public
- qui n’a pas hésité à le faire savoir - nous n'avons pas été convaincu par
la direction laborieuse de Mikko Franck, peu inspiré par les tonalités
complexes et la mobilité des climats imaginés par Bizet. Les membres du
Philharmonique de Radio France suivent sans trop y croire les directives du
chef finlandais pour un résultat qui s’avère souvent trop lent, privé de
densité et de nervosité. Restent heureusement les Chœurs d'Angers, Nice et
Avignon, et la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dont on apprécie la couleur
générale, la clarté et la préparation.
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