Altamusica
Monique BARICHELLA
 
Verdi: Il trovatore, Bayerische Staatsoper, 27. Juni 2013
 
Munich 2013 : Un Trouvère entre fatras et triomphe
Défi réussi pour LE ténor du moment : alors que le rôle-titre du Trouvère n’était guère évident lui, Jonas Kaufmann impose avec élégance et brio le plus stylé des Manrico. Indescriptible fouillis d’idées disparates et inabouties, la production surchargée d’Olivier Py est hélas la pire signée à l’opéra par le metteur en scène depuis son Idoménée aixois.

Selon la formule célèbre de Toscanini, pour réussir le Trouvère, il suffit de réunir les quatre plus belles voix du monde. Vu l’état actuel du chant italien, en particulier concernant Verdi, Munich a opté pour une solution radicale avec un cast ne comportant aucun chanteur transalpin. Chacun des protagonistes ayant les grands moyens exigés par la partition, le résultat se révèle efficace sinon totalement convaincant pour tous.

Chaque nouvelle prise de rôle de Jonas Kaufmann constitue désormais un événement, d’autant qu’il est aussi idiomatique dans Wagner et Strauss que dans les répertoires français et italien. Pour autant, on n’était pas vraiment persuadé qu’il avait raison de s’attaquer à Manrico et son impitoyable Di quella Pira, terreur de tant de ténors. N’allait-il pas déclarer forfait comme pour les Troyens de Covent Garden la saison dernière ? Cette fois, fidèle au rendez-vous, il n’a pas déçu ses fans venus de partout pour assister à l’événement.

Sans doute la couleur sombre et cuivrée du timbre n’est-elle pas habituelle pour le rôle, mais, de bout en bout, la leçon de chant est exemplaire, digne de Bergonzi ou Domingo au niveau des nuances et du style. Il est à ce titre aussi surprenant qu’injuste que le triomphe excessif réservé à Anja Harteros en cette soirée de première éclipse largement celui du rôle-titre.

Comme son partenaire, la soprano possède un charisme indiscutable, la voix est belle, expressive, la ligne exemplaire dans le chant piano et la mezza voce, avec des accents et des coloris riches irrésistibles dans D’amor sull’ali rosee, et le duo final avec Manrico. Pour autant, elle délivre aussi des aigus forte durs et stridents, à la limite du cri, en particulier à la fin de Tacea la notte.

Franc succès aussi pour le solide Luna du baryton Alexei Markov, qui est en train de gagner ses galons internationaux. La tessiture tendue du plus caractéristique des rôles de baryton Verdi ne lui pose aucun problème, le phrasé italien est impeccable mais pour que le chant soit totalement idiomatique, il manquerait encore quelques nuances et du legato dans la ligne.

En Azucena, Elena Manistina, en revanche, ne satisfait qu’au niveau des décibels, avec un chant pour le moins débraillé et de regrettables problèmes d’intonation, tandis que Kwangchul Youn ne démérite pas en Ferrando. Chœurs et orchestre rendent justice à Verdi sous la direction enthousiaste de Paolo Carignani.

Pour sa première mise en scène dans un théâtre où le Regietheater est roi, Olivier Py s’est fait modérément huer. À l’opposé de la relecture sans doute discutable mais d’une rigoureuse cohérence de Tcherniakov à Bruxelles, le metteur en scène français offre un indescriptible foutoir, multipliant les fausses pistes, proposant autant d’idées brouillonnes et inabouties.

Il se laisse aller à tous les excès, justifiant les fantasmes habituels de son univers en les interférant à une imagerie visionnaire et cauchemardesque pseudo-inspirée par l’univers de Goya. Mais la symbolique est lourde, inutilement surchargée et confuse. D’évidence, Py a voulu en mettre plein la vue en étalant dans un fourre-tout indigeste ce dont il est capable.

Certains moments sont forts, d’autres franchement glauques, trash, vulgaires voire répugnants ou risibles. En vrac, il propose des innovations auxquelles on peut souscrire, comme les apparitions récurrentes, dès les premières mesures, de la sorcière maléfique, hirsute et évidemment dénudée, torturée et brûlée vive qui hante les lieux, manipulant Azucena, sa fille, et poursuivant tous les protagonistes de sa malédiction. Comme elle, la Zingara est aussi une mère castratrice pour Manrico.

Afin de justifier la méprise du premier acte, Leonora est aveugle : elle reconnaît Manrico à tâtons. Idée vite délaissée de théâtre dans le théâtre, le récit de Ferrando se déroule sur une scène, devant des spectateurs. On a droit aussi à de vagues allusions à la guerre d’Espagne où Luna pourrait être un officier, opposé aux partisans de Manrico, le tout dans l’un des échafaudages métalliques sur trois étages les plus monstrueux conçu par Pierre-André Weitz.

Pourtant, quand il nous fait grâce de son inutile fatras, d’un continuel too much, qu’il laisse respirer le chant et la musique, adoptant un minimum de rigueur – quelques moments de tendresse et de passion entre Manrico et Leonora, et surtout une superbe scène finale enfin dépouillée, concentrée sur les personnages – on retrouve par moments le Py inspiré de Tristan et des Huguenots.






 
 
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