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ResMusica, 02/01/2014 |
par Dominique Adrian |
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Verdi: La forza del destino, München, 22. Dezember 2013
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Voix fortes pour destins verdiens à Munich
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La Force du destin, entre guerre, vengeance et ascétisme, n’est peut-être
pas l’opéra le plus adapté à la période des fêtes, mais certaines
distributions peuvent aider à faire passer même dans ces conditions le plus
mal bâti des grands opéras de Verdi. Pour sa troisième et dernière première
verdienne de cette année anniversaire (après Simon Boccanegra et Le
Trouvère), l’Opéra de Bavière a adjoint à Anja Harteros et Jonas Kaufmann
qu’on avait déjà pu y admirer cet été dans Le Trouvère et dans une reprise
marquante de Don Carlo deux recrues de choix avec Ludovic Tézier et Vitalij
Kowaljow.
Tout n’est pas idéal, pourtant, dans cette nouvelle
entreprise verdienne. Le principal point noir, ponctué par quelques huées,
est le chef Asher Fisch. Certes, contrairement à Bertrand de Billy dans
Simone Boccanegra, ses limites ne vont pas jusqu’à naufrager la
représentation, mais on ne peut dire qu’elle suffise à donner ses lettres de
noblesse à la musique de Verdi comme avait su le faire Paolo Carignani dans
ces murs pour Le Trouvère : le manque d’idée se traduit par une recherche
trop simpliste d’effets et par une absence d’architecture globale de la
soirée. Le chœur de l’Opéra de Bavière est admirable, on le sait : mais ce
n’est pas en le faisant chanter perpétuellement à pleins poumons qu’on
découvrira toutes ses qualités. Ludovic Tézier, ce soir, est en admirable
forme, avec tout le mordant et toute la chaleur exigée par son rôle : mais
c’eût été le rôle du chef que de l’aider à approfondir son personnage pour
l’extraire du piège de l’unidimensionnalité qui le guette. Et il aurait
fallu soit demander le remplacement de Nadia Krasteva en Preziosilla, soit
lui fermer le chemin beaucoup trop facile de la vulgarité – qu’ici la mise
en scène elle-même ne fait que savonner, il faut le dire –, pour lui faire
prendre conscience des enjeux dramatiques de son personnage et lui permettre
de se concentrer un peu plus sur son chant, terriblement débraillé.
À
vrai dire, la mise en scène de Martin Kušej ne parvient pas vraiment mieux à
justifier la nécessité dramatique de l’opéra. Son travail, sans nul doute,
est soigné et le plus souvent agréable à regarder, même quand il montre sur
scène, avec raison, les horreurs de la guerre qui forment l’arrière-plan de
la partie médiane de l’opéra. Il faut bien dire, cependant, que le public
d’aujourd’hui n’est plus habitué à voir le spectacle interrompu sans cesse
par de trop longs précipités, qui tuent ce qui peut rester d’intérêt
dramatique pour ne révéler que des décors banals. Quand Kušej place en fond
de scène un immeuble visiblement évidé par une bombe, en mémoire du 11
septembre, on ne peut nier que l’effet est impressionnant ; mais si c’est
pour faire jouer les personnages en avant-scène sans véritable interaction
avec ce décor, on ne peut s’empêcher de penser qu’une simple vidéo aurait
aussi bien fait l’affaire. Le spectacle n’a pas choqué le public, il ne
sombre pas dans une convention mortifère, mais il n’intéresse pas vraiment :
dans d’autres maisons, de tels spectacles sont la norme, mais l’Opéra de
Bavière nous avait habitués à mieux.
Reste donc les voix. Vitalij
Kowaljow, dans le double rôle du père de Leonora et de son mentor religieux,
surprend par une voix moins profonde que souvent, mais convainc par
l’humanité de son chant, et le reste de la distribution, avec un Melitone un
peu pâle et une excellente Curra, ne vient pas vraiment gâcher le plaisir
qu’on attendait des trois stars de la soirée. Jonas Kaufmann comme Anja
Harteros auraient mérité eux aussi un chef qui favorise l’approfondissement
de leurs personnages et se montre plus exigeant sur la diction italienne.
Mais y a-t-il – et même y a-t-il jamais eu – beaucoup de sopranos possédant
un pareil sens de la mélodie verdienne qu’Anja Harteros ? Y a-t-il eu
beaucoup de ténors verdiens capables de concilier investissement dramatique
total et délicatesse d’un chant tout en nuances comme le fait Jonas Kaufmann
?
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