|
|
|
|
|
Altamusica |
Yannick MILLON |
|
Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, 28. August 2013
|
|
Un Don Carlo d’orchestre
|
|
Alexander Pereira a l’art de ménager la chèvre et le chou : entre le Gawain
d’Alvis Hermanis et ce Don Carlo de Peter Stein, le directeur de Salzbourg
s’essaie au grand écart. Sur le papier, ce grand Verdi programmé pour le
bicentenaire de la naissance du compositeur avait tout pour plaire. Et pour
faire le plein cet été où les rangées clairsemées sont devenues légion.
Pourtant, on reste perplexe devant un spectacle qui dans une belle
scénographie sombre à tout moment dans la convention opératique la plus
datée et les poses stéréotypées. D’une fidélité absolue au livret,
constamment lisible, la mise en scène, qui ne dit rien sur des personnages
archétypaux, reste malheureusement d’un insondable ennui.
Les levers
de rideau sont d’un bel impact, souvent dans le format cinémascope typique
des années Karajan, comme cette scène du travestissement avec éclairages
bleutés, jolis lampions et tissus vaporeux, mais sur la durée, l’œil se
lasse de la fixité des décors et de personnages livrés à eux-mêmes – la
panoplie de l’Inquisiteur en vieux croûton tremblotant.
La lisibilité
de l’action tient d’ailleurs bien autant au choix de donner la partition
sans la moindre coupure – à l’exception du ballet –, soit presque quatre
heures de musique. Avec des passages d’ordinaire jamais réintégrés, comme le
premier chœur de lamentation de l’acte de Fontainebleau, la déploration
façon Lacrymosa de Philippe II sur la dépouille de Posa, la fin pianissimo,
ainsi que tous les deuxièmes couplets des airs et les duos in extenso.
Par chance, le maître d’œuvre de cette exhaustivité est un Antonio
Pappano qu’on n’avait jamais entendu aussi engagé, d’une poigne, d’une
gestion des contrastes de la dramaturgie absolument grisantes, entre phrasés
superbement étirés, galbe des courbes lyriques et tranchant des accords
abrupts des pages dramatiques.
Le Philharmonique de Vienne endosse
ses plus beaux atours : cordes de rêve, fines et aiguisées, fiévreuses et
amples – jusqu’à un violoncelle solo de Robert Nagy laissant la salle
suspendue à ses accès de désespoir –, cuivres millimétrés, coupants juste le
nécessaire, et bois en apesanteur.
Heureusement que la fosse porte à
ce point la représentation, car la distribution porte les stigmates de notre
temps, où les Italiens se sont depuis longtemps laissés déposséder de leur
patrimoine opératique. Pas un chanteur transalpin au secours de ce plateau
qui manquera constamment de brillant, sentiment renforcé par les deux
répliques de Benjamin Bernheim en Comte de Lerma et Héraut du Roi, d’une
accroche insolente qu’on n’entendra plus de l’après-midi.
Jonas
Kaufmann fait un Infant indolent, victime du destin, ne se révoltant qu’in
extremis. Pas très jeune de timbre à Fontainebleau, un peu somnolent jusqu’à
l’autodafé, il expose enfin un troisième registre magnifique et libère ses
moyens phénoménaux devant le cadavre de Posa. On l’avait imaginé plus
flamboyant d’emblée, mais il n’est que 13h lorsque débute cette ultime
représentation.
Anja Harteros, qui ne manque pas d’intentions, bute
sur un instrument désespérément sec, dur dans la pleine voix, Elisabetta
très raide, sauf étrangement lorsqu’elle annonce à Eboli qu’elle est bannie
de la cour. La princesse est tenue par une Ekaterina Semenchuk solide, d’une
typologie vocale trop ambiguë, ni beau timbre latin, ni ampleur à la russe,
et manque au final d’une vraie énergie de la jalousie.
Toujours dans
le circuit alors qu’il n’est plus capable d’aligner deux sons corrects
depuis quinze ans, Robert Lloyd n’est plus qu’un brontosaure enrhumé en
Frate. Quant à Thomas Hampson, dont la voix élimée très tôt n’est finalement
pas plus abîmée que dans la production de Wernicke in loco il y a douze ans,
on reste partagé face à son personnage altier, belle présence mais voix
grise, qui tentera vainement de rejoindre Kaufmann sur le sol aigu de leur
duo.
La plus grande déception vient toutefois du Philippe II de Matti
Salminen, musical mais arrivant dix ans trop tard, épuisé, à bout de souffle
et de timbre et plus exotique encore de couleur que son entourage. On
voulait pourtant croire au pari d’Alexander Pereira, qui avait réussi à le
faire accepter par un Pappano a priori sceptique.
Le Grand
Inquisiteur au grave superbement noyauté d’Eric Halfvarson tient le choc
face aux déflagrations orchestrales, tandis que la Voce del cielo en rai de
lumière de Kiandra Howarth, le Tebaldo presque inaudible de Maria Celeng et
des chœurs inintelligibles et manquant parfois d’impact complètent l’équipe
pour le moins inégale de ce Don Carlo d’orchestre.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|