Opéra, octobre 2012
François Lehel
 
Verdi: Don Carlo, Salzburger Festspiele, 22. August 2013
 
Don Carlo, Salzbourg
Autre belle idée de l'été 2013, pour le bicentenaire : la confrontation de Die Meistersinger von Nürnberg(1868) et de Don Carlo. Car ce dernier, par bonheur, est donné dans la version «parisienne » de 1867 (avec quelques emprunts, qu'on pourrait discuter, à celle «de Milan »), avant les coupures de la première, persuadant, une fois de plus, qu'elle s'impose absolument : depuis l'émouvant choeur d'entrée des paysans du I donc, et avec le duo complet au II, l'échange des manteaux au début du III, ou encore «Chi rende a me quest'uom» au IV: On regrettera d'autant le choix de la traduction italienne...

Pour la production - parfois critiquée après sa diffusion sur Arte, le 16 août , on résumera en disant qu'un Don Carlo «classique » bien servi vaut mieux qu'un Falstaff « moderne » massacré, même si, en regard du trop-plein d'idées des Meistersinger, il parait d'une simplicité biblique. Depuis plusieurs années, Peter Stein s'est fait une règle de s'en tenir à la stricte lecture du texte. Avec un tel livret et un plateau de telles personnalités, on ne le regrettera pas.

De fait, laissant les choeurs à des groupements très sages, il se concentre sur les duos qui font la ligne de crête de l'oeuvre, et où une savante direction d'acteurs réussit le maximum d'effet avec le minimum de moyens : une main levée au bon moment (le Grand Inquisiteur devant son souverain) ; Elisabetta prenant la main de Carlo pour la mettre sur sa joue, dans le poignant duo du II ; Carlo essuyant sa main ensanglantée sur le visage de son père, après l'assassinat de Posa... C'est alors un travail de maître.

Superbes costumes, décors et éclairages inégaux, mais avec des tableaux de toute beauté : le I, dont le grand fond blanc découvre au centre les seules fenêtres éclairées du château, et son finale, laissant Carlo au centre du plateau, pendant que la neige tombe dans une lumière bleu nuit ; un cloître en forme de crypte aux arcades surbaissées, sous éclairage zénithal tombant sur le sobre monument funéraire ; un incendie impressionnant pour conclure un terrible autodafé.

La distribution tient ses promesses. Avec l'admirable Elisabetta d'Anja Harteros, d'abord : splendeur de la voix, d'une égale et douce chaleur, souple et ductile, des plus subtils piani aux éclats puissants de douleur, unifiée par un magistral legato ; et personnage d'une constante beauté, faisant glisser lentement son élégante et mélancolique silhouette préraphaélite.

Idéalement accordé à sa partenaire habituelle, Jonas Kaufmann, pour l'un de ses rôles fétiches, ménage d'abord ses forces en Carlo, au point de paraître presque en retrait, mais c'est pour déployer magnifiquement l'aigu à partir du trio du III. Et convaincre, une nouvelle fois, par l'affirmation fascinante de cette figure romantique qui lui est bien personnelle, concentrée et sombre, à la Hamlet, dont il a le costume noir sobrement ajusté. En face de lui, le superbe Posa de Thomas Hampson, en très belle voix, affirme au contraire, par un heureux contraste, la franche assurance de l'ami salvateur. Une sorte de révélation vient de l'Eboli d'Ekaterina Semenchuk, qui réussit l'exploit de l'enjouement brillamment trillé et vocalisé de la «Chanson du voile », des âpres déchaînements du III et des grands élans dramatiques de son « 0 don fatale».

Avec aujourd'hui un impressionnant masque à la Titien, Matti Salminen ne cache pas son âge, avec même, le 16 août, un accident vocal dans « Ella giammai m'amo !» (dissimulé par le montage de la retransmission différée), mais extraordinaire le 22, et justement acclamé. Car si le timbre est sensiblement usé, la présence est formidable. De même, Eric Halfvarson, au vibrato marqué de l'aigu, mais figure terrifiante de Grand Inquisiteur. Excellents comprimari, dont le très joli Tebaldo de la toute jeune Maria Celeng.

L'ensemble est porté irrésistiblement par Antonio Pappano, pour une remarquable entrée sur la scène salzbourgeoise : souffle épique et lyrisme puissant, palette de nuances rendant pleine justice à la richesse toujours stupéfiante de la partition, phrasés de haute volée, galvanisant un Wiener Philharmoniker difficilement surpassable. Dans ces conditions, un des moments les plus forts du Festival.









 
 
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