Diapason, février 2013
Piotr Kaminski
 
Wagner: Lohengrin, Teatro alla Scala, Dezember 2012
 
Le miracle Kaufmann
 
Depuis les Noces salzbourgeoises, nous savons que Strindberg et Ibsen sont les auteurs préférés du metteur en scène Claus guth. Ce Lohengrin scaligère le prouve à nouveau: sanglé dans son uniforme, le Roi de René Pape (valeur sûre, légère fatigue) semble droit sorti du Père de Strindberg. Quant à Tómas Tómasson (Telramund plus efficace que bouleversant), avec sa mine renfrognée et sa gestuelle réaliste-expressionniste, la seule que connaissent nos «rénovateurs», il ferait un parfait méchant ibsénien. On dirait également que M. Guth prépare déjà Le Tour d'écrou (Ortrud en Mrs. Jessel, Elsa au piano...). Ni vulgarité excrémentielle ni crétinisme idéologique dans ce décor élégant, d'un éclectisme de bon ton; rien que du familier, sur catalogue: on montre au second plan ce qu'on chante au premier, on affuble les protagonistes de doubles enfantins, des personnages muets hantent le plateau, «signifiants» en diable, et quand surgissent les nobles brabançons, queues de pie et hauts de forme, on espère en vain un numéro de claquettes.

Mais il y a Jonas Kaufmann. Prisonnier du Konzept qui l'oblige à jouer celui qui ne sait rien (entre Kaspar Hauser et Edward Scissorhands), tout en chantant celui qui sait tout, il ne cherche jamais à les concilier: dès qu'on lui fiche la paix et que musique commence, les gestes torturés cessent aussitôt. Apparaît alors Lohengrin, fait d'un chant tout en nuances, stupéfiant de maîtrise, d'intelligence et d'imagination, profondément humain et incarné: le plus beau depuis Konya et une des créations suprêmes de notre temps. A ses côtés, Anja Harteros qui, ayant dompté ses problèmes d'intonation dans L'aigu, nous offre une belle Elsa, un rien froide cependant, et Evelyn Herlitzius, à la voix sauvage et aux aigus dardés. Dans la fosse, Daniel Barenboim cherche toujours l'idéal furtwänglérien: plus de galbe, de legato et de chair, que de contour, de nerf et de discipline. Mais il y a Kaufmann, et le cœur est content.





 






 
 
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