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LE MONDE, 12.12.2012
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Par Marie-Aude Roux |
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Wagner: Lohengrin, Teatro alla Scala, 7. Dezember 2012
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A la Scala, Wagner triomphe sur les terres de Verdi
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On annonçait des huées, ce furent les nuées. Un triomphe pour Lohengrin, de
Wagner, qui ouvrait ce 7 décembre la saison de la Scala de Milan. Une
défaite pour les tenants du vain combat mené depuis des semaines dans la
presse pour la prévalence de Verdi, artisan emblématique du Risorgimento et
de l'unité italienne, sur son rival allemand - 2013 fête le double
bicentenaire des deux compositeurs nés en 1813. La qualité exceptionnelle du
spectacle a clos la polémique.
Il y avait eu d'ailleurs bien plus
grave à régler en interne. Une hécatombe de chanteuses malades. La titulaire
du rôle d'Elsa, Anja Harteros, star féminine de la production, a dû céder la
place à sa doublure, Ann Petersen, pour l'anteprima du 4 décembre, celle-ci
déclarant forfait deux jours plus tard.
C'est en 24 heures chrono que
la soprano allemande Annette Dasch s'est donc retrouvée le matin de la
première à apprendre la mise en scène de Claus Guth. Elle avait heureusement
chanté le rôle à Bayreuth en 2010 et 2011, année de la captation d'un DVD
paru chez Opus Arte (mise en scène d'Hans Neuenfels sous la direction
d'Andris Nelsons). Cette Elsa de la dernière heure devait se révéler de
première fraîcheur.
Ni grande voix ni timbre exceptionnel, elle a
impressionné par son cran, sa justesse scénique, sa musicalité rayonnante,
portée sans doute par l'incarnation du Lohengrin de Jonas Kaufmann.
Le ténor allemand est indéniablement le meilleur Lohengrin actuel. Beau
et fragile à la fois, puissant et émouvant, il possède un pouvoir
hallucinant, lorsque, usant de cette couleur si particulière de sa voix
(quasi automnale), il semble que la musique lui traverse le corps et l'âme.
Mise en scène passionnante
Pour exister en face d'un tel
phénomène, il faut l'incandescence diabolique d'une Evelyn Herlitzius, en
méchante reine et maîtresse dominatrice ; d'un René Pape, roi de droit divin
par le simple naturel de sa prestance et de son timbre d'airain.
La
mise en scène de Claus Guth est passionnante. Rompant avec des générations
de "chevalier au cygne" inoxydables, il tisse de manière subtile la trame
polysémique de la question des origines, sortie des légendes allemandes des
Frères Grimm. Le metteur en scène allemand partage avec le cinéaste Michael
Haneke cet art du filigrane qui fait miroiter, sous le calque d'un
esthétisme soigné, l'envers terrible des perversités, du désir, des
mensonges.
En faisant de Lohengrin, fils de Parsifal, un enfant
sauvage (Wagner s'est intéressé au cas de Kaspar Hauser), il confère au
héros son étrangeté. Ce chevalier pieds nus, sans royaume et sans épée,
presque sans mémoire, repartira comme il est venu, né conjointement d'un
fantasme collectif de salvation et de la projection hystérique d'Elsa,
accusée d'avoir tué son jeune frère Gottfried.
Les costumes en noir
et blanc de Christian Schmidt, les lumières monochromes d'Olaf Winter
éclairant les décors comme des états d'âme participent à l'univers carcéral
(tour à tour prison, pensionnat, palais), où se nouent les rapports de
domination entre adultes et enfants, esprits forts et chair faible, la
présence d'un piano droit symbolisant le lieu de tous les sévices.
Elsa, petite fille en robe blanche, ne doit pas connaître le nom du
mystérieux chevalier qui la sauve, sous peine de le perdre et de se perdre.
Elle s'y emploiera pourtant dans le dernier acte qui voit les amoureux
perdus dans les roseaux au bord d'un lac (on pense à Louis II de Bavière,
roi fou mort noyé). Dans la fosse, Daniel Barenboïm a prodigué les nuances
infinies de sa direction, fait corps avec ses chanteurs : le long récit
final des adieux de Lohengrin est d'une beauté à couper le souffle.
Distraction ou acte manqué ? Le chef d'orchestre a zappé en ouverture le
traditionnel hymne national italien qui ouvre les festivités scaligères. Le
Fratelli d'Italia sonnera donc sous les applaudissements : le public y
gagnera, en plus des excellents musiciens du Choeur et de l'Orchestre de la
Scala, le plateau triomphant des solistes.
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