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Avant Scène Opéra
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Didier van Moere |
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Bizét: Carmen, Salzburger Festspiele, 19. August 2012
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Carmen, le 19/08/2012 - Festival de Salzbourg
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Une reprise, alors que le nouvel intendant en a refusé le principe ? La
décision de remettre à l’affiche cette Carmen du festival de Pâques avait,
en réalité, été prise avant lui et il n’y pouvait rien changer : c’est bien
ce qu’on regrette. La production démontre, une fois de plus, les perversités
du star system : le couple Kožená/Rattle, ça vous fait une affiche et,
naturellement, des CD qu’on s’empresse de jeter sur le marché. A ceci près
que madame s’est totalement égarée dans un rôle inadapté à ses moyens et –
sans doute – à son tempérament. Pas de médium, pas de grave, pas de timbre,
rien de tout ce qui fait la gitane. Disons qu’elle garde un tiers des notes,
aspirée, perdue dans le grand vaisseau du Festpielhaus. Pas de sensualité
non plus : une Carmen comme dépassée par son histoire, parfois étrangement
lointaine, n’arrivant pas à exister malgré quelques effets artificiels pour
faire plus vrai – on pense parfois à Renée Fleming. Il paraît qu’on l’a
chahutée à la première : il en faut beaucoup, à Salzbourg, pour que de
telles choses se produisent… Et, où qu’on soit, pour que Micaëla triomphe à
l’applaudimètre… Magdalena Kožená est une trop belle artiste pour qu’on ne
souhaite pas la voir retourner au plus vite sur ses terres d’élection.
Si encore elle avait été dirigée scéniquement, elle qui n’a pas vraiment
le théâtre dans le sang, elle aurait pu camper une Carmen atypique – sœur
lointaine de Mélisande ? Mais Aletta Collins est d’abord une chorégraphe,
dont la direction d’acteurs accuse aussitôt ses limites, notamment quand il
s’agit des ensembles. Un Kaufmann, une Kühmeier, dont plusieurs productions
ont déjà rôdé le Don José et la Micaëla, s’en sortent évidemment beaucoup
mieux. Très hispanisante, la mise en scène expédie, souvent de façon assez
statique, les affaires courantes – fort correctement d’ailleurs. L’inutile
chorégraphie vaguement flamenco qui perturbe parfois l’écoute de la musique,
avec son côté guerre des sexes soft, n’ajoute rien à la chose. Le tout se
passant dans un décor assez vilain – on n’échappe pas, au deuxième acte, à
la maison close tendue de rouge où, pour pimenter l’indigence de la
proposition, Frasquita et Mercédès devenues sœurs Kessler s’embrassent
goulûment sur la bouche… Histoire de se donner aussi un air branché, on
transforme la montagne en égout. Une image réussie, heureusement, pour finir
: un groupe de danseuses vêtues de noir semble engloutir, telles des déesses
de la mort – et peut-être de l’amour –, Carmen et Don José enfin réunis.
Heureusement, deux autres sont là. Jonas Kaufmann s’impose
désormais comme un des Don José du moment, moins violent que déchiré, écrasé
par un destin trop lourd, toujours soucieux de l’élégance de la ligne. Les
tensions des deux derniers actes ne durcissent pas une voix allégée dans le
duo avec Micaëla ou dans un « Et j’étais une chose à toi » rarement ainsi
murmuré jusqu’au si bémol – elle reste néanmoins un peu en arrière.
Genia Kühmeier incarne, tel est bien le mot, une Micaëla forte, sans la
moindre mièvrerie, timbre franc, tessiture homogène, chant stylé. Kostas
Smoriginas, en revanche, arrache sans les phraser les notes d’Escamillo,
uniquement soucieux de montrer ses biceps vocaux. Le chœur de l’Opéra de
Vienne est magnifique, les autres tiennent leur rang ; il n’en manque pas
moins un esprit consubstantiel à l’opéra comique – seul l’inusable Remendado
de Jean-Paul Fouchécourt représente l’école française. C’est assez fâcheux
quand on opte pour la version originale et ses dialogues – même limités.
Sir Simon Rattle ne dirige plus la Philharmonie de Berlin, comme à
Pâques, mais celle de Vienne. Elle semble assez paresseuse, sans doute parce
que le chef britannique privilégie la plasticité aux dépens de la tension
dramatique, très attaché à la beauté des détails, avec un Prélude du
troisième acte de rêve, ne succombant pas à la tentation de confondre
l’éclat et le bruit – pas seulement pour ménager la protagoniste. Reste à
savoir si l’on entend vraiment les couleurs de Carmen.
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