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Resmusica, 26/02/2011
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Alexandra Diaconu |
Puccini: Tosca, Milano, 20.02.2011
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Le sacre des émotions
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Après New York et Munich, la Tosca de Luc Bondy s’essaye à la plus exigeante
des scènes européennes : La Scala. Cette production très justement critiquée
a été sauvée à Milan par une distribution exceptionnelle et un chef d’à
peine trente ans.
Il n’y a rien de tel que la Scala pour faire
oublier les lacunes d’une production. Bien qu’elle soit réputée pour les
humeurs du public, elles n’y sont pas si spécifiques - Bastille ou Garnier
rivalisent volontiers dans ce registre. Il s’agirait plutôt d’un ingrédient
quasi miraculeux : le pathos. Un lien viscéral au drame et à la musique qui
en décuple les effets.
Ainsi, malgré la superficialité de la
mise en scène, la Tosca de ce soir est bouleversante. Parce que Jonas
Kaufmann est revenu (il ne chantera finalement que deux soirs) parce que
l’orchestre est transporté, la direction audacieuse et les voix
exceptionnelles. Le décor spartiate, imposant, fait de voûtes en briques
sombres qui rappelle la forteresse voisine des Sforza alimente la crainte
d’une tragédie prochaine. Bondy a voulu un Mario Cavaradossi cérébral,
révolutionnaire, qui s’intéresse moins à l’amour qu’à la politique mais,
cette idée, la musique la contredit à chaque instant. Au risque de paraître
fébrile, Jonas Kaufmann comble intuitivement les lacunes d’une direction
d’acteur absente pour étoffer le personnage. Avec un timbre de velours qui
joue sur le modelé, une articulation qui soudain se fait mordante, il donne
au rôle ce qu’il faut de spontanéité et de complexité émotionnelle pour
qu’il s’impose face à une Tosca puérile et narcissique qui ne mérite ni son
amour ni le désir de Scarpia. Heureusement la voix spectaculaire de
l’ukrainienne Oksana Dyka, suave et déliée, rachète ici aussi le personnage.
Scarpia semble être le centre d’intérêt principal de Luc Bondy. Ce
dernier l’entoure de trois grâces en son Palazzo Farnese et en fait un
libertin mégalomane. De ses aigus impérieux, le baryton serbe Zeljko Lucic
donne au rôle une écrasante autorité. Il en exploite toutes les facettes et
traque l’humain même dans le Machiavel, ce qui nous le rend curieusement
sympathique. Un caractère secondaire semble lui aussi bien dessiné, bien
mieux que le couple vedette : le sacristain. C’est lui qui vend la mèche et
Renato Girolami joue aussi bien la mesquinerie qu’il sait jouer la farce
(très réussi Dr Dulcamara dans Elisir d’Amore à l’opéra de Lille).
Malgré une mise en scène pauvre et bâclée, on se laisse emporter par cette
version. Les imperfections ne coupent pas l’élan de la musique, chargée ici
d’un pouvoir émotionnel dévastateur. L’acoustique contribue elle aussi à
nous projeter dans le sublime et à faire de la Scala, le temple des
passions.
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