Classiqueinfo.com, 3 février 2010
Karine Boulanger
Massenet: Werther, Paris, 14-I-2010
Jonas Kaufmann est Werther à l’Opéra de Paris
 
Si un chanteur ne fait pas un spectacle à lui seul, la présence d’un interprète exceptionnel peut indéniablement relever le niveau d’une production de grande qualité. L’Opéra de Paris propose, une saison seulement après la venue d’une production munichoise du Werther de Massenet, la reprise d’un spectacle créé en 2004 à Covent Garden. Les deux mises en scène, l’une transposée, l’autre replacée dans son contexte historique accordé au roman de Goethe, sont diamétralement opposées, celle de Jürgen Rose étant entièrement centrée sur le personnage du poète créateur, rêvant un monde idéal et l’accordant à son imaginaire, tandis que celle de Benoît Jacquot se veut plus neutre, plus illustrative.

Les décors des premier et deuxième actes, sans grand éclat (celui de l’acte II ayant été simplifié par rapport à l’original de Covent Garden) présentent une petite ville de province où le moindre événement prend un relief extraordinaire. Les éclairages n’évitent pas certains effets faciles (premier acte). Les troisième et quatrième actes sont les plus réussis, le troisième directement inspiré d’œuvres de Vilhelm Hammershøi avec un grand salon presque vide baigné d’une lumière crépusculaire, symbolisant l’enferment de Charlotte. Le quatrième acte est directement enchaîné au troisième, le salon faisant place à un paysage enneigé, puis à la chambre de Werther dans le lointain, comme contemplée depuis les toits, puis se rapprochant jusqu’à l’avant-scène.

Il est des cas où l’on se félicite de la captation télévisée d’un spectacle, l’équipe en ayant manifestement profité pour reprendre, rectifier et affiner la directeur d’acteurs. La production est cependant avant tout conçue pour être vue de près, beaucoup de détails se perdant dans l’immensité de la salle.

Invité à l’Opéra de Paris pour défendre un répertoire qu’il connaît à la perfection, Michel Plasson livre une lecture particulièrement aboutie de Werther, choisissant délibérément des tempi très larges, ciselant chaque détail, mettant en relief le moindre élément pour faire ressortir la beauté de l’orchestration de Massenet. Attentif aux transitions entre chaque scène, le chef construit une interprétation entièrement tendue vers le dénouement final, atténuant et évitant toute rupture de ton ou d’atmosphère, évacuant peut-être ainsi une certaine dimension théâtrale et mélodramatique. Le chef est particulièrement attentif aux chanteurs, respirant avec eux, leur laissant le temps d’amorcer une phrase difficile.

La distribution est de très haut niveau, dominée par Jonas Kaufmann en Werther, la voix de plus en plus assombrie, semblant pourtant s’être encore épanouie et avoir gagné en puissance. Les aigus restent assurés, au rayonnement irrésistible. L’interprète fait montre d’un sens des nuances exceptionnel, attentif à l’orchestre, s’accordant à la perfection avec la direction de Michel Plasson, soucieux de ne jamais outrer un effet, suggérant la poésie et la mélancolie dans laquelle se complait le héros. La diction est claire mais pourrait cependant être encore améliorée. Il est difficile d’isoler tel ou tel moment de la représentation tant l’incarnation est aboutie. On notera le remarquable monologue du second acte « Oui ! Ce qu’elle m’ordonne… pour son repos… je le ferai ! », le chanteur murmurant sa réflexion sur la mort, l’air du troisième acte tant attendu (« Pourquoi me réveiller ») est superbement phrasé, le legato magnifique. De même on admire la retenue de la fin du quatrième acte (« Là bas, au fond du cimetière ») presque murmuré piano.

Sophie Koch est une superbe Charlotte, son timbre chaud et un peu sombre de mariant bien à la voix de Jonas Kaufmann. Plus retenue qu’à l’accoutumée, tant dans le chant que dans son jeu, l’interprète campe une jeune femme sensible, terrifiée à l’idée de suivre ses inclinations, incapable de faire un pas en avant, mais reculant au contraire à petits pas pressés. La chanteuse livre en outre une belle interprétation de « l’air des lettres », sensible et émouvante.

Anne-Catherine Gillet est idéale en Sophie, incarnant une jeune fille douce et pétillante, témoin impuissant et délicat du drame silencieux qui lie trois de ses proches. Le timbre frais et juvénile, la clarté de la diction, l’aisance du chant sans la moindre mièvrerie rendent justice à ce rôle qui reprend là sa véritable importance.

Ludovic Tézier, familier du rôle d’Albert, semble encore plus retenu qu’à l’accoutumée, mais chante avec un art consommé son air du premier acte (« Elle m’aime ! Elle pense à moi ! »), ses interventions ultérieures sont glaçantes. Alain Vernhes est un bailli parfait, les deux compères Schmidt et Johann (Andreas Jäggi et Christian Tréguier) n’appellent pas de reproches, à l’exception de l’interprète de Schmidt fâché avec la justesse au premier acte.

Une très grande soirée dont on a hâte de découvrir la captation vidéo.

 






 
 
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