Altamusica
Gérard MANNONI 
Schubert: Die schöne Müllerin, Paris, TCE, 14. Oktober 2010
 

Un demi-Kaufmann 

La Belle meunière de Schubert par le ténor Jonas Kaufmann accompagné au piano par Helmut Deutsch dans le cadre des Grandes Voix au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.

Reporté de la saison dernière, ce récital est finalement une demi-déception. De nouveau atteint par le virus qui l’a contraint à annuler récemment plusieurs spectacles, Jonas Kaufmann ne s’est pas présenté en pleine possession de ses fastueux moyens. Beaucoup d’intentions, mais une émission limitée au moins pendant une partie du programme.

Aurait-il dû faire une annonce ? Contrairement à beaucoup de ses collègues qui n’hésitent pas à raconter leurs petits malheurs de santé – on pense à Juan Diego Flórez et à son récurrent mal d’estomac –, Jonas Kaufmann a choisi de ne rien révéler de l’indisposition qui le prive d’une partie de sa voix.

Refus de se faire prendre en pitié ? C’est louable. Refus aussi d’annuler une nouvelle fois cette soirée tant attendue depuis l’année dernière, vue la remarquable interprétation de ce cycle qu’il a gravée chez Decca ? C’est également louable. Surestimation de ses moyens techniques – et pourtant on les sait incroyables ! – ou sous-estimation de ceux qu’il faut mettre en œuvre pour assumer une soirée de Lieder ? C’est possible.

En tout état de cause, dès son entrée en scène, c’est un Kaufmann à la mine fatiguée, flottant dans un habit un peu trop grand, un verre d’eau à la main mais néanmoins les boucles noires plus abondantes et romantiques que jamais, qui s’attaque avec un demi-timbre aux premières mélodies de la Belle meunière. On se dit que ce n’est pas vraiment sa voix.

Certes, les intentions y sont, surtout si l’on a en mémoire tout ce qu’il a su proposer lors de l’enregistrement réalisé pour Decca. Mais tout passe mal la rampe, reste assez confidentiel, un peu terne, voire monotone. Jusqu’à la huitième ou la neuvième de ces vingt mélodies.

Rien de médiocre, bien sûr. On l’aurait trouvé normal d’un interprète moins généreux en splendeurs que lui. Mais pour l’un des deux ou trois plus grands chanteurs de l’heure, ce n’est pas vraiment ça. Que l’on songe seulement à la splendeur absolue des récitals de mélodies du Grand-Théâtre de Bordeaux et du Palais Garnier à Paris ces dernières années.

Reconnaissons qu’après Ungeduld, emporté par un souffle plus convaincant et un investissement vocal et scénique plus spontané, on commence à s’approcher davantage de ce à quoi on s’attendait en venant à ce concert. Mais ce n’est guère qu’au moment des bis réclamés comme il se doit par un public malgré tout en délire, que l’on finit par entendre et à voir le vrai Kaufmann, pour Der Lindenbaum, Die Forelle et Der Musensohn.

Une autre voix, avec couleurs et timbre, un autre visage, enfin vraiment animé et spontanément expressif, une gestuelle minimale mais elle aussi totalement dans la foulée du mot et de la musique. On ne dira pas, comme dans certains cas, « à oublier », car avec Helmut Deutsch comme partenaire, Kaufmann nous donne quand même une heure de musique pensée avec une brillante intelligence, une sensibilité d’une vérité absolue et toujours ce sens du mot qui est celui des très grands interprètes du Lied.

Mais que l’on écoute à nouveau son CD ou celui, magnifique à tous égards, consacré au vérisme que vient de publier Decca, et l’évidence d’un problème vocal passager s’impose, sans que l’on ait besoin de quelques confirmations de coulisses. On attend aussi la parution du Werther d’anthologie filmé le printemps dernier par Decca à Paris.

Mais quand reverra-t-on Kaufmann dans la capitale ? Au moins aux Grandes Voix la saison prochaine espérons-le, et peut-être à l’Opéra. Aucune rumeur à ce sujet, mais, comme le chante Carmen : « Il est permis d’attendre, il est doux d’espérer ! »






 
 
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