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Resmusica, 18 . August 2010 |
Michèle Tosi |
Fidelio de Beethoven. Lucerne, Konzertsaal, le 15 août.
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[Lucerne] Fidelio, Abbado, Kaufmann,
Stemme…
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C’est Eros (le dieu de l’Amour), considéré dans la théologie orphique comme
étant à l’origine de la création, qui fait l’entête de l’édition 2010 du
Festival de Lucerne. Et c’est avec le Fidelio de Beethoven, triomphe de
l’amour conjugal face aux instances de la cruauté et de l’injustice que
Claudio Abaddo et les forces vives du Festival ouvraient cette manifestation
accueillant, du 12 Août au 18 Septembre, phalanges, solistes et chefs les
plus prestigieux.
La représentation semi-scénique à laquelle
nous assistions au KKL ménageait derrière l’orchestre un espace occupé sur
plusieurs niveaux par des vêtements : des manteaux plus précisément,
suspendus ou en tas, sorte de décor à la Boltanski d’une certaine beauté
plastique sous les lumières de Reinhard Traub et suggérant peut-être, comme
pour le plasticien français, « l’humain absent » dans cette prison où
évoluent les personnages de l’action. Les chanteurs, quant à eux, allaient
et venaient des coulisses à la scène où ils occupaient certains points
stratégiques dissimulant semble-t-il des écrans : sans doute un support pour
les dialogues parlées réactualisés par la metteur en scène Tatjana Gürbaca.
Un parterre de bougies sur le devant de la scène contribuait à intégrer la
masse orchestrale à l’installation scénique globale.
Les
pupitres du Mahler Chamber Orchestra mêlés à ceux du Lucerne Festival
Orchestra formaient un ensemble de proportions idéales et d’une qualité rare
dont témoignait chaque intervention soliste concertant avec les voix.
Celles-ci n’appellent que les superlatifs et contribuaient à la beauté des
ensembles si finement ouvragés par Beethoven : la soprano suédoise Nina
Stemme est une Léonore/Fidelio au timbre chaleureux, d’une aisance étonnante
dans tous les registres du rôle. La basse allemande de Christof Strehl/Rocco
conjugue souplesse et puissance au côté du baryton Falk Struckmann/Don
Pizarro, bien campé à la faveur d’un timbre et d’une autorité vocale
singuliers. Si la voix légère du ténor Christopf Strehl/Jaquino se perd un
peu dans le volume de la salle de concert, celle de Rachel
Harnisch/Marzelline, fraîche et bien projetée, incarne idéalement la
jeunesse du personnage. L’intervention de Jonas Kaufmann/Florestan
au début du deuxième acte sur un crescendo risqué autant que spectaculaire
(« Gott, welch Dunkel ist ») concentre immédiatement l’attention sur cette
personnalité hors-norme, au timbre fragile – chantant parfois en sourdine,
comme l’una corda d’un piano - autant que vaillant, qui lui permet de
développer une gamme de couleurs toujours à fleur d’émotion.
L’arrivée de Don Fernando – extraordinaire Peter Mattei à la voix large et
rayonnante – n’est pas moins remarquable, qui donne au finale un souffle
d’une lumineuse intensité. L’Arnold Schœnberg Chor, intégré à la mise en
scène dans le premier acte, était exemplaire comme de coutume ; il faisait
du chœur des prisonniers (« Leb wohl, du warmes Sonnenlicht »), à la fin du
premier acte un des instants privilégiés de cette partition, chef d’œuvre
musical si ce n’est dramaturgique, que Claudio Abbado défendait ce soir avec
la simplicité et le naturel qui siéent aux artistes de génie. |
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