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Le Monde, 18.03.09 |
Marie-Aude Roux |
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La grâce vocale de Jonas Kaufmann, nouveau ténor vedette
de la scène lyrique
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La série "Les Grandes Voix" au Théâtre des
Champs-Elysées produisait le second des récitals parisiens donnés cette
saison par le ténor vedette allemand, Jonas Kaufmann. Un programme
résolument grand public - une enfilade de tubes de Puccini, Massenet, Bizet
et Wagner - aux antipodes du rigoureux Liszt, Britten et Richard Strauss,
entendu le 9 novembre 2008, au Palais-Garnier, à deux semaines de la
première du Fidelio, de Beethoven, où Kaufmann confirmait son Florestan,
actuellement sans rival.
A presque 40 ans (il est né à Munich le 10 juillet 1969), Jonas Kaufmann est
un peu l'anti-Rolando Villazon. Même génération et quelques rôles en commun
: mais là où le ténor franco-mexicain, de trois ans son cadet, brûle depuis
dix ans ses vaisseaux au risque de perdre la voix (Le Monde du 6 mars),
Jonas Kaufmann s'est construit une carrière de Sioux, alliant audace et
sagesse.
Ces dernières années ont vu le Munichois triompher sur les grandes scènes
internationales et faire la preuve d'une grâce absolue - une voix mordorée
et sombre, au timbre puissant, admirablement placée, qui lui permet de filer
des pianissimos arachnéens comme de projeter loin des aigus éclatants de
santé.
Tempérament d'artiste et physique de jeune premier romantique, le ténor est
de surcroît aussi à l'aise dans l'opéra français qu'il prosodie
admirablement (Don José dans Carmen, de Bizet, Faust, dans La Damnation de
Faust, de Berlioz), l'opéra allemand où il se profile comme le grand ténor
wagnérien de demain (Les Maîtres chanteurs, Lohengrin, Parsifal), ou le
grand répertoire verdien (La Traviata, Otello, Rigoletto et Don Carlos) et
puccinien (Tosca).
La France a découvert Jonas Kaufmann en 2003, alors qu'il remplaçait au pied
levé Dietrich Henschel dans un récital Schubert à l'Opéra du Rhin, à
Strasbourg. Branle-bas dans le microcosme lyrique. Il y avait ensuite eu la
première française du rare Fierrabras, de Schubert, au Théâtre du Châtelet,
dans une production de 1997 venue de l'Opéra de Zurich, une ville que le
ténor affectionne puisqu'il y vit, avec son épouse, la mezzo-soprano
Margarete Joswig, et ses trois enfants.
A l'Opéra-Bastille, Kaufmann a déjà incarné Cassio dans Otello, de Verdi, en
2004, puis Alfredo dans La Traviata, mise en scène par Christoph Marthaler
en 2007. Mais c'est sur les scènes étrangères qu'il s'est taillé la part du
lion : son Don José dans la Carmen de fin 2006, à Covent Garden, a tout
simplement bouleversé les standards du rôle (ce dont témoigne un DVD paru
chez Decca), rendant psychologiquement incompréhensible que la sulfureuse
Carmencita d'Anna Caterina Antonacci puisse décemment lui préférer le
toréador...
Début 2008, Jonas Kaufmann a fait paraître chez Decca (où il a signé un
contrat d'exclusivité) un premier récital, désormais best-seller, d'airs
d'opéras romantiques (Romantic Arias). C'est ce florilège qu'il a chanté ce
mardi 17 mars au soir devant une salle complètement acquise à sa cause.
Mince, beau, élégant et pas cabot pour deux sous, Kaufmann a excellé dans
Werther de Massenet : un superbe et poignant "Pourquoi me réveiller" qui a
donné les plus belles espérances à la prise de rôle qu'il fera la saison
prochaine à l'Opéra de Paris.
Kaufmann avait attaqué avec le fameux "Recondita armonia" de la Tosca, de
Puccini, une option culottée qu'il défend en la guindant légèrement aux
entournures, avant de se dégeler dans La Bohème en réchauffant "Che gelida
manina". Légère déception dans la rare Martha de Flotow ("Ach so fromm"), où
le ténor a paru abuser de la messa di voce, un art savant du détimbrage,
dont il possède à merveille les moindres arcanes. Une gageure quand on est
accompagné par un Orchestre national de Belgique, façon Massacre à la
tronçonneuse.
Pur produit de l'école de chant allemande, Jonas Kaufmann est aujourd'hui
(avec le ténor péruvien belcantiste, Juan Diego Florez) ce que la scène
lyrique fait de mieux. |
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