Altamusica, 08/12/2009
Gérard Mannoni
Bizét, Carmen, Mailand, 7. Dezember 2009
Commentaire TV : Carmen à la Scala
 
L’ouverture de la saison de la Scala de Milan fait chaque année et immuablement le 7 décembre l’événement. ARTE retransmettait à l’occasion en léger différé Carmen, dans une mise en scène très discutable d’Emma Dante, mais avec une vraie découverte en la personne de la jeune Anita Rachvelishvili et l’inégalable Don José de Jonas Kaufmann. Impressions de téléspectateur.

Distribution de choc pour cette Carmen télévisée en quasi direct de la Scala de Milan pour l’ouverture de la saison, le 7 décembre, jour de la saint Ambroise comme le veut la tradition milanaise. Au pupitre, Daniel Barenboïm, et dans les rôles principaux, non seulement Jonas Kaufmann en Don José mais aussi Erwin Schrott en Escamillo et une jeune Géorgienne de 25 ans en Carmen. Pour la mise en scène et les costumes, dans un décor de Richard Peduzzi, une dame très branchée et en vogue du sud de l’Italie, la Sicilienne Emma Dante, faisant ses premières armes dans le domaine de l’Opéra mais très connue dans celui du théâtre dramatique.

Sans que l’on puisse parler d’un ratage absolu, il faut bien admettre que le fatras et l’agitation hystérique qui encombrent la scène à tous moments n’apportent rien à la lecture de la musique ni de l’action. Emma Dante semble croire que tout crescendo dans la musique doit s’accompagner d’une identique multiplication de personnes et d’actions sur le plateau, ce qui est pléonastique et sans signification.

Beaucoup idées convenues aussi, comme l’allusion permanente à l’église et à la corrida, des images d’une agressivité hors de propos, comme ces enfants presque nus au I ou ces furies rampant en grimaçant sur le sol à diverses reprises, ne font pas une mise en scène et prouvent seulement que leur auteur n’a rien de spécial à dire sur le sujet qui ne l’ait déjà été cent fois et beaucoup mieux que cela, d’autant qu’aucun travail d’acteur original n’est effectué et que les costumes sont franchement laids, disgracieux, desservant le physique exceptionnellement adapté des protagonistes.

Ajoutons quelques images absurdes, comme l’arrivée d’Escamillo chez Lilas Pastia dans un ascenseur qui descend des cintres avant de chanter son air sur une vaste de table que l’on a dressée hâtivement tout exprès comme pour un mariage. L’acte des contrebandiers est mieux traité, mais le dernier, avec ces hommes torse-nu avançant à genoux pour figurer les Quadrilles, ne fonctionne vraiment pas ! On comprendra qu’une partie de l’assistance ait hué Emma Dante au salut final, sous l’œil visiblement très courroucé de Daniel Barenboïm.

L’intérêt du spectacle était donc ailleurs, essentiellement dans la direction musicale et dans l’interprétation des deux principaux protagonistes, tout au moins tel que cela apparaissait à la télévision. Barenboïm tire la partition davantage dans la direction du drame romantique noir que dans celui d’une fresque colorée. Cela le pousse à quelques tempi plus lents que ceux auxquels on est accoutumé, source d’un véritable effet émotionnel, d’autant qu’avec une gestuelle minimaliste qui prouve que l’essentiel du travail fut exécuté en répétitions, il fait sonner somptueusement l’orchestre de la Scala et met très en valeur les voix et les chœurs. D’ailleurs, ces tempi mesurés conviennent parfaitement aux deux interprètes principaux, car ils ont de grandes voix, larges, amples.

La jeune Anita Rachvelischvili était venue auditionner pour Frasquita, nous a-t-on dit à l’entracte. Intéressé par sa voix, Barenboïm lui demanda si elle pouvait chanter autre chose. Elle proposa le rôle de Carmen… et le maestro, conquis, l’engagea. Il a eu raison. La silhouette est certes un peu lourde mais non dénuée de sensualité et le visage, très typé, avec sa longue chevelure noire frisée, est très adéquat. Mais surtout, la voix est grande, facile, d’un métal sombre magnifique sur toute la tessiture. Un vrai grand mezzo comme on n’a pas découvert depuis longtemps. Le tempérament scénique semble fort, surtout à ce stade de la carrière où l’expérience ne joue guère.

Face à elle, Jonas Kaufmannn confirme être un très grand Don José, comme le dit Plácido Domingo interviewé, très habile d’ailleurs pour éluder tout commentaire sur la mise en scène. La voix est superbe de couleur, de force, de maîtrise dans toutes les nuances expressives. Elle ne peine pas dans les passages les plus dramatiques comme Je te tiens fille damnée, ni dans les subtilités en mezza voce de la fin de la Fleur que tu m’avais jetée.

Splendide de bout en bout et longuement acclamé par le public. Le physique, bien sûr, avec cet œil sombre et ce casque de boucles noires, est idéal, et l’acteur, on le sait, vaut le chanteur. Superbe à voir en gros plan, avec tout le réalisme que cela implique, mais aussi toute l’évidente sincérité d’un engagement fait de spontanéité mais aussi d’un professionnalisme absolu. Et quelle qualité d’élocution en français !


Erwin Schrott est un Escamillo aux allures de jeune premier hollywoodien, mais la voix n’est pas menée ici avec beaucoup de goût ni même de sûreté stylistique. Il fait quand même beaucoup d’effet. Quant à la Micaela d’Adriana Damato, elle a semblée bien gauche scéniquement, avec un épais physique de brune peu adéquat et une voix au timbre certes soyeux et agréable, mais à l’émission instable et gênée par la langue française prononcée comme si elle avait une pomme de terre dans la bouche. Elle était finalement plus crédible dans l’image où elle figure (de manière pas vraiment indispensable) la mère de José morte à la fin du III qu’en jeune paysanne énamourée. Très bonne présence théâtrale et vocale de tous les autres.

La retransmission télévisée, il faut en tenir compte, accentue certains défauts, en cache d’autres, mais permet quand même à ce qui est indiscutable de s’imposer. Sous la baguette inspirée de Daniel Barenboïm, cette nouvelle Carmen restera dans les mémoires pour son interprète principale que l’on espère vite entendre dans d’autres grands rôles, pour Kaufmann aussi.

Et d’ailleurs, le public de la Scala a su leur montrer à l’une comme à l’autre qu’il ne s’y trompait pas, par l’avalanche de fleurs qui tombait sur eux à chaque rappel !
 






 
 
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