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Jacques Doucelin
Beethoven: Fidelio, Paris, Palais Garnier, novembre/dècembre 2008
Fidelio à Garnier - Les voix de Beethoven
© fedephoto, Agathe Poupeney
Fidelio est un monstre magnifique qui est au monde lyrique ce que la 9e Symphonie est à celui de la vieille symphonie classique ou la Missa solemnis à celui de la messe grégorienne. Ca commence comme L'Enlèvement au sérail de Mozart pour finir comme L'Hymne à la joie de Schiller et Beethoven. C'est dire si l'unique opéra de Beethoven inspiré d'un épisode héroïque de nos guerres de Vendée est l'incarnation musicale de l'idéal des Lumières. On comprend que Gérard Mortier, intellectuel progressiste, ait tenu à inaugurer sa nouvelle production de Fidelio le jour de son 65e anniversaire ! Une manière d'adieux.

Pour la circonstance, l'AROP (Association pour le Rayonnement de l'Opéra de Paris) a offert un gala habillé en l'honneur du patron de l'Opéra de Paris jusqu'à l'été prochain: les rampes du grand escalier de Charles Garnier n'étaient que guirlandes de roses. En pleine crise économique, la soirée vous prenait des airs surréalistes de « danse sur le volcan ». Surtout au regard du sujet même de l'opéra dont le lieu géométrique dépouillé est l'univers carcéral. Et encore davantage eu égard à l'extrême rigueur aux limites de l'indigence des décors de Jan Versweyveld. On s'attendait à tout (c'est à dire au pire !) de la part du metteur en scène hollandais Johan Simons qui a laissé des souvenirs mitigés à l'Opéra de Paris où il a déjà signé un Simon Boccanegra de Verdi transposé en pleine campagne électorale de Berlusconi...

Le pire n'est jamais sûr. Impressionné par l'oeuvre ou sermonné par le maître des lieux, le metteur en scène s'est contenté de raconter par le menu l'histoire terre à terre du Singspiel, équivalent de notre vieil opéra comique. Un beau brin de fille, un brin nunuche, Marzelline, tombe amoureuse de Fidelio, épouse travestie d'un des prisonniers, tout nouvel assistant de son père, maton en chef de la prison, au grand dam du pauvre Jaquino, amoureux éconduit. Ces péripéties larmoyantes et bourgeoises s'envolent au début du second acte avec l'entrée en scène du vrai héros de la soirée, le prisonnier : c'est le passage du drame particulier à l'universel.

Tout le monde le sait, la difficulté de Fidelio consiste précisément pour le metteur en scène et pour le chef à gommer les disparités dans cet ouvrage remanié à plusieurs reprises par Beethoven. Il y a pour cela l'ouverture – voire les ouvertures quand on ajoute la justement fameuse ouverture dite Léonore III, traditionnellement insérée avant le finale du second acte, ce qui n'a pas été le cas. Or, il l'explique lui-même dans le programme, le chef Sylvain Cambreling a opéré un retour à la Léonore d'origine (1805), première mouture de Fidelio (1814) en modifiant l'ordre des premières scènes. Le résultat a été de ralentir l'action de façon incroyable : le premier acte est ainsi passé d'une heure trente à une heure quarante cinq. Il faut dire que les dialogues parlés ont été en partie réécrits par un écrivain teuton qui n'a pas allégé la sauce en délayant...

Quant à l'ouverture, celle de Léonore, elle a été volontairement dénervée au-delà du supportable : c'était une fermeture ! C'est que si Sylvain Cambreling peut parfois cogner « comme un sourd » (si l'on ose dire...) il excelle aussi dans le traitement soigné des ensembles : très beaux quatuors ou quintettes vocaux. Mais ce qui lui manque cruellement dans ce genre d'ouvrage, c'est l'élan qui porte l'ensemble de l'oeuvre l'arrachant au quotidien popote pour l'élever jusqu'à l'universel. Il y faut un charisme qui n'a jamais été son fort.

Même si les choeurs de l'Opéra n'ont pas retrouvé la splendeur que Jean Laforge avait su leur donner à l'ère Liebermann, le chef porte une lourde responsabilité dans leur retrait alors qu'ils doivent occuper le premier rang de cette symphonie avec voix. Comme à son habitude, en outre, il suit, tel un fidèle toutou, les méandres de la mise en scène qui à défaut de proposer une vision – qu'elle soit historique ou moderne : il y avait hélas ! l'embarras du choix – se perd dans des gestes inutiles destinés à meubler le vide. Cela dans le premier acte : car dieu merci, grâce à un certain Beethoven, les choses changent au second. Le décor s'y résume à la cage d'un escalier métallique qui forme les dents d'une mâchoire broyant les humains quels qu'ils soient. C'est presque une idée de théâtre...

Ce qui sauve la soirée, c'est la distribution hors du commun. Son seul point faible, et il est de taille, est la soprano allemande Angela Denoke. Elle n'a simplement pas le type de voix pour le rôle réputé impossible de Léonore : la tessiture de ses principaux airs lui échappe la plupart du temps et elle détonne aux limites de l'audible. Dommage. Tous les autres chanteurs sont au-dessus de tout éloge. Bien sûr, son Florestan d'époux le fort ténor allemand Jonas Kaufmann est sublime, d'autant qu'il gagnera en humanité en apprivoisant le rôle.

Dans l'inhumain, le Pizzarro du baryton-basse américain Alan Held est hors concours: c'est une prodigieuse vision du mal en action. Il trouve heureusement à qui parler avec le Rocco plein d'humanité de la basse allemande Franz Josef Selig. Le baryton-basse français Paul Gay sauve l'honneur national en campant un ministre plein de dignité en défenseur de l'idéal du despote éclairé cher à Mozart comme à Beethoven. La soprano allemande Julia Kleiter et le ténor tchèque Ales Briscein, Marzelline et Jaquino, forment un couple plein de fraîcheur, merveilleux musiciens.

Alors, on peut fermer les yeux et écouter Beethoven.






 
 
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