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Concertonet |
Claudio Poloni |
Bizét: Carmen, Zurich, 28 Juin 2008
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Une Carmen qui va droit à l'essentiel
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Enfin une Carmen sans kitsch de pacotille ni
folklore de carte postale, une Carmen qui va droit à l’essentiel, une Carmen
de passion et de violence, où les sentiments sont mis à nu, à l’instar du
plateau pratiquement vide de l’Opernhaus. Grâce aux superbes éclairages de
Martin Gebhardt, la chaleur qui plombe une Espagne des années 1950 semble
bien réelle. Seul le 3e acte échappe au soleil de plomb, puisqu’il se
déroule de nuit, à la lumière d’une immense lune plantée au fond de la
scène. Et la traditionnelle arène du dernier tableau a laissé la place à un
olivier au tronc desséché. La violence est omniprésente: au 2e acte, Zuniga,
d’ordinaire ligoté pour permettre à Carmen et ses acolytes de fuir dans la
montagne, est ici égorgé, alors que les contrebandiers chantent la liberté
en montrant la paume de leurs mains ensanglantée. Et dans la confrontation
finale, avant de poignarder la bohémienne, Don José l’aura d’abord frappée
puis aura tenté de l’étrangler. Chose plutôt rare à l’opéra, le metteur en
scène – homme de théâtre – a formidablement dirigé les solistes, les
choristes et les figurants, qui se meuvent tous avec un naturel confondant,
et a soigné les moindres détails, notamment dans la relation entre Carmen et
Don José.
Mais l’intérêt de cette nouvelle production du chef-d’œuvre de Bizet valait
surtout pour la prise de rôle de Vesselina Kasarova, une artiste très
appréciée à Zurich. Il faut dire d’emblée que les attentes n’ont pas été
totalement comblées, tant le personnage de la bohémienne est complexe. La
mezzo bulgare campe une femme altière, élégante et raffinée en talons
aiguilles, plus éprise de liberté que d’hommes, et qui sait exactement ce
qu’elle veut. Enfin une Carmen aux antipodes de la femme aguicheuse et
vulgaire, quand bien même on aurait souhaité davantage de séduction, de
sensualité et d’émotion. Si la diction française de Vesselina Kasarova est
largement perfectible, sa voix séduit par ses accents graves et sombres,
idéaux pour le personnage. Au final donc, une composition intéressante et
intelligente, qui devra mûrir lors de reprises, notamment à Zurich et à
Vienne la saison prochaine.
Le grand triomphateur de la soirée aura été Jonas Kaufmann, qui a
renouvelé son exploit londonien d’il y a une année et demie, lorsqu’il a
endossé pour la première fois les habits de Don José. Dans un français
impeccable, il a superbement chanté La fleur que tu m’avais jetée, sans
jamais forcer la voix, ce qui mérite d’être signalé, lorsque la plupart des
ténors aujourd’hui hurlent leur amour pour Carmen. La confrontation finale a
elle aussi été un moment de pur bonheur, avec les premières notes amorcées
pianissimo, comme une longue plainte, avant le paroxysme fortissimo. Au fil
des rôles, le chanteur allemand se révèle comme l’un des ténors les plus
intéressants du circuit lyrique international. Dans les autres rôles
principaux, Michele Pertusi a fait forte impression en Escamillo, un emploi
qui sort de son répertoire traditionnel, mais dans lequel il a pu démontrer
un excellent français et une voix sonore et puissante, parfaitement
maîtrisée sur toute la tessiture. En Micaëla, Isabelle Rey se heurte aux
limites de ses possibilités vocales. Dans la fosse, on retrouvait avec
plaisir Franz Welser-Möst, qui dirigeait pour la dernière fois en qualité de
directeur musical (une fonction qu’il retrouvera à Vienne avec Dominique
Meyer), même si on sait d’ores et déjà qu’il restera fidèle à l'Opernhaus
comme chef invité. Des décalages entre choristes et musiciens ainsi que des
imprécisions chez les cuivres notamment ont pu donner l’impression d’un
nombre insuffisant de répétitions, à moins que ce ne fût la tension d’une
première très attendue. Dans l’ensemble néanmoins, le chef a su restituer
toute la palette des nuances contenues dans la partition, du murmure des
conversations amoureuses aux débordements de violence. Les Zurichois vont le
regretter, c’est certain.
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