OPÉRA MAGAZINE, France
É. P.
Bizét: Carmen, Zurich, 28 Juin 2008
Une soirée dont on ne se souviendra que pour la présence d’un Don José réellement hors du commun.
En homme de théâtre habitué des relectures radicales, Matthias Hartmann avait toutes les raisons de se méfier de la tradition et du folklore dans un ouvrage aussi connoté que Carmen. Aussi sa mise en scène se prive-t-elle de tout ce qui facilite, au prime abord, l’accès à une histoire racontée au premier degré. Aucun détail pittoresque dans cette réalisation le décor se réduit àune plate-forme inclinée devant un cyclorama vide, d’une blancheur éclatante seuls quelques éléments indispensables, comme les chaises de la taverne ou les rochers du défilé, sont amenés sur le plateau par les chanteurs. Les costumes évoquent un pays méditerranéen dans l’aprè sguerre, en évitant toute référence directe à l’Espagne.

Comme Souvent dans les productions actuelles, beaucoup de «trouvailles» sentent le réchauffé, tels l’assassinat de Zuniga pendant le finale du II (déjà vu dans la mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle, notamment) ou le défilé fantôme des acteurs de la corrida au début du IV censé se dérouler dans la salle tandis que le choeur fait semblant de le suivre des yeux. Le travail de détail sur la gestique des acteurs est nettement plus convaincant: les chanteurs se regardent vraiment, s’affrontent ou s’embrassent avec un degré de vérité rappelant l’atmosphère suffocante des films réalistes du milieu du XXe siècle. Mais, en enfermant le spectateur dans le carcan d’une relecture distanciée, Hartmann le prive de points de référence facilement identifiables, en traduisant d’une manière excessivement aseptisée un drame passionnel qui n’en demandait pas tant... On gardera quand même en mémoire quelques belles images, comme le haletant duel final, joué au ralenti sur une place nue, baignée d’une lumière aveuglante, où trône un gros olivier.

Sous la baguette de Franz Welser-Möst, l’orchestre, dans un mauvais joui; a aligné les couacs, le chef ne réussissant jamais à trouver le climat de légèreté propre aux passages d’opéra-comique. Lourd, voire massif; son accompagnement a plombé l’action théâtrale, le recours aux récitatifs de Guiraud, en lieu et place des dialogues parlés, n’arrangeant pas les choses. Pour ses débuts dans le rôle-titre, Vesselina Kasarova a semblé mal à l’aise, escamotant plusieurs notes dans la Séguedille ou la Habanera, pour enfler tout à coup le son dans les moments où elle se sentait sûre de son effet. Du coup, le profil du personnage est devenu chaotique, impression encore aggravée par une maîtrise scandaleusement insuffisante de la prononciation française. Le timbre est peut-être adapté à Carmen mais, pour le style, c’est une autre affaire. Jonas Kaufmann, en revanche, est certainement l’un des meilleurs Don José actuels : sa prestance physique, la qualité de son jeu et la richesse expressive de ses accents le placent constamment au centre des débats, au risque de rejeter ses collègues dans l’ombre. L’évolution du soldat timide et mal dans sa peau vers le tueur aveuglé de jalousie trouve un subtil écho dans un chant d’une incroyable diversité de ton, culminant dans un Air de la fleur d’une pudeur inhabituelle et dans un duo final abordé d’une voix rêveuse, presque absente et désincarnée, avant l’explosion de violence suicidaire des dernières mesures. Mïchele Pertusi négocie avec brio et élégance les pièges d’Escamillo, alors qu’Isabel Rey peine à dominer un timbre détérioré et un vibrato acide en Micaéla. Dans les emplois secondaires, Sen Guo séduit en Frasquita avec ses aigus d’une pureté aérienne, Gabriel Bermudez est un Dancaïre inhabituellement menaçant et Morgan Moody un Zuniga bien chantant. Les autres ne mentent pas d’être mentionnés.

Une soirée dont on ne se souviendra que pour la présence d’un Don José réellement hors du commun.
 






 
 
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