Les echos
MICHEL PAROUTY
Verdi : La Traviata, Paris, Palais Garnier, 06/16/2007 - et 19, 24, 27, 30 juin, 3, 6, 8, 12 juillet 2007
Poupée brisée
Enterrement théâtral de première classe pour un pilier du répertoire lyrique.
Christoph Marthaler, dont on aima la « Katya Kabanova », est désormais prisonnier d'un système : transformer les protagonistes en monsieur Tout-le-Monde, jouer de la dérision, tenter une vague explication sociologique (tellement vague, ici, qu'elle est inexistante), refuser le psychologique, et développer un arbitraire stérile (pourquoi l'action se déroule-t-elle dans un décor unique, vague salle des fêtes d'une ville de la RDA dans les années 1960 ?) ; englué, aussi, dans une esthétique qu'il partage avec sa décoratrice, Anna Viebrock, apologie du moche et du marronnasse usée jusqu'à la corde. Cette « Traviata », digne d'une Maison de la Culture des années 1970, est un spectacle vieux, mortellement ennuyeux, qui ne dit rien d'autre que ce que l'on a vu cent fois.

Qui est vraiment le Père Germont ? Un bourgeois sottement confit dans ses principes ? Un cynique qui écarte de son chemin une déclassée ? Un vieillard qui, sous sa dureté, cache un coeur tendre et juste ? Impossible de le savoir ; José van Dam en donne une vision d'autant plus monolithique que sa voix, aujourd'hui, manque de souplesse, de sûreté dès le haut médium, et que le répertoire italien la montre sous son mauvais jour.

Alfredo est-il un amoureux impétueux, un gamin capricieux blessé dans son orgueil ? Jusqu'où va sa sincérité ? Jonas Kaufmann a pour lui sa prestance, son aisance en scène ; sa voix est large et puissante, son timbre sombre et cuivré. Mais il n'use pas de cette émission haute si flatteuse pour le chant italien, ses nuances sont rares, et l'on sent qu'il se dirige désormais vers des emplois plus héroïques.

Violetta, elle, émeut, mieux, elle bouleverse. Christine Schäfer l'interprète, petit bout de femme à la Piaf, poignante, déchirante, comédienne que rien n'arrête, musicienne intègre qui affronte tous les dangers. Certes, sa palette de couleurs vocales est chimérique, sa vocalisation parfois hasardeuse. Mais elle fait avec ce qu'elle a, sans tricher, et remporte la mise au dernier acte. C'est également le moment où Sylvain Cambreling est le meilleur. Jusqu'alors, sa direction, adoptant souvent des tempos d'une extrême lenteur (de ceux qui n'aident pas les chanteurs) avait pu paraître brutale, tendue, n'avançant pas vraiment ; mais au tableau final la tension se résout, le discours trouve son unité laissant l'émotion s'épanouir sans pour autant tomber dans la sensiblerie.

La dévoyée meurt telle une starlette brisée dont les bouquets sont fanés. Trop tard : Marthaler l'a enterrée dès le lever de rideau.






 
 
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