Forum Opera
Placido CARREROTTI
Verdi: Otello, Opéra Bastille, Paris, 17 juin 2004
CALE SECHE
Revoici sur la scène de l'Opéra-Bastille, l'Otello déjà présenté en mars et dans une distribution quasi identique ( voir notre critique).
 Vladimir Galouzine est un chanteur indéniablement plein de qualités : énergie, puissance, engagement, le problème, c'est qu'elles se manifestent de plus en plus rarement (1). Après des représentations un peu chaotiques en mars, on pouvait espérer une bonne surprise pour cette dernière série de juin.

Hélas, le chanteur ne ménage pas sa voix : entre les huit représentations d'Otello en mars et les huit autres en juin, il aura chanté sept Calaf ! Au programme de la rentrée, de nouvelles séries d'Otello ou de Paillasse : autant dire que l'artiste sera frais pour ses huit nouvelles représentations d'Otello à Bastille en février 2005. D'ailleurs, s'agissant donc d'un total de vingt-quatre Otello à Paris en douze mois, doit-on parler d'art ou d'abattage ?

La soirée du 17 juin se classe dans la moyenne basse : le lot habituel de vociférations, une justesse souvent approximative, des aigus de plus en plus poussés et une caractérisation sommaire. Au positif, pour frustre qu'elle soit, l'interprétation reste à de nombreux moments électrisante : mais c'est l'art d'accommoder les restes.

Le rôle de Desdemona ne pose pas de problèmes techniques particuliers à Cristina Gallardo-Domas qui succède à Barbara Frittoli ; elle dispense une voix au timbre chaud, variant avec subtilité les couleurs et nous offre une interprétation intelligente et d'une grande sensibilité : douceur, fragilité mais sans la passivité un peu niaise de certaines interprètes.

Jean-Philippe Lafont n'est guère gâté par la mise en scène : la tête de Paillasse dans le costume de Mussolini, un crâne en plastique à la main (2), la bonhomie de Falstaff, et de bout en bout, des grimaces à côté desquelles Lon Chaney dans Quasimodo passerait pour un acteur suédois dans un film de Bergman. Iago super-vilain, démarqué du personnage du Joker incarné par Jack Nicholson dans Batman, il fallait oser !

Vocalement, c'est en revanche très correctement chanté : au fil des ans, la technique de Lafont s'est améliorée et l'instrument est devenu plus docile. Reste un timbre qui convient sans doute mieux au répertoire allemand qu'au répertoire italien ou français.
Jonas Kaufmann est certainement la vraie découverte (pour les Parisiens) de cette série : physiquement comme vocalement, voilà un artiste qui retient l'attention. Un timbre assez sombre (un peu à la Cura), un phrasé impeccable et une étonnante présence théâtrale compte tenu du caractère assez anecdotique du rôle. Seul regret, le volume vocal est encore un peu faible pour Bastille.

Les autres rôles varient du bon (le Roderigo de Sergio Bertocchi ou le Lodovico de Giovanni Battista Parodi) au très bon (le Montano de Christophe Fel et l'Emilia de Nona Javakhidze, qui succède, elle, à Elena Cassian).

On dit parfois qu'un grand théâtre se reconnaît à ses seconds rôles : ce serait le cas si on pouvait avoir le même enthousiasme envers les premiers solistes.

Les choeurs et l'orchestre sont irréprochables. Sans génie particulier, James Conlon est ici plus supportable que dans d'autres programmes : sa lecture, violente, frustre mais efficace, de la partition est au diapason du rôle-titre et finit par emporter l'adhésion.

Concluons sur la mise en scène affligeante d'Andrei Serban, autrefois mieux inspiré.

L'introduction reste toujours aussi spectaculaire : des projections de vagues en furie sur une trame tamisée en avant-scène. Pour le reste, des atténuations ont été apportées par rapport à la création en mars, mais pas pour les scènes les plus contestables.

On retrouvera donc quelques morceaux d'un ridicule achevé ; par exemple, la conclusion de l'acte III : Iago passe autour du cou d'Otello le cordon de velours rouge qui servait à retenir la foule et, le tenant ainsi en laisse, lance "Ecco il leone" ; ou encore, la dernière scène de l'acte IV : Otello maquillé en Iroquois (avec la trousse de Desdemone, en plus !) fait le tour du lit de celle-ci en jetant des plumes de corbeau ; le Maure poursuit la jeune femme en crevant sur son passage les paravents de la chambre (symbolisation "subtile" de la perte de virginité ?) avant de lui asséner un coup de couteau puis de la finir en l'étranglant avec son voile (4).

Et bien sur, le crâne qui accompagne fidèlement Iago tel le perroquet sur l'épaule du pirate Long John Silver dans L'Ile au Trésor.

Le grotesque de certains costumes a lui aussi été atténué pour cette reprise : ainsi de l'envoyé du Doge qui retrouve une tenue plus en rapport avec la noblesse de ses fonctions (5). L'ensemble reste totalement hétéroclite : des robes de soirées pour les dames, l'habit traditionnel du pêcheur de crevettes du Boulonnais pour les marins, ou encore les tenues "d'amiral de la marine suisse" pour Roderigo et Montano...

Les décors n'évoquent rien de précis : à partir du moment où l'on accepte que les ruelles chypriotes soient équipées de lanternes électriques, on peut tout admettre ; seule concession "méditerranéenne" : un palmier au pied duquel viendra mourir Otello (symbole phallique cette fois ?).

Pour la reprise de 2005, Gérard Mortier a d'ores et déjà annoncé qu'il avait bien compris les intentions de Serban (clause de style, parions-le), mais que leur traduction scénique mériterait d'être retravaillée. On ne peut que se féliciter d'une telle démarche et saluer son courage : habituellement, les directeurs d'opéras ont plutôt tendance à se réfugier derrière une sacro-sainte "liberté artistique" pour ne pas intervenir. D'avance merci, Monsieur Mortier. 






 
 
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