Double
bicentenaire, annonçait-on au dernier Nouvel an ! Voilà qui n’échappe ni à
Jonas Kaufmann ni aux éditions discographiques, qu’elles s’appellent Decca
ou Sony. Après son album Wagner qui ne nous avait guère convaincus [lire
notre critique du CD], ce sont treize arie empruntant au catalogue verdien
que livre le ténor dramatique bavarois, nettement plus inspiré. Il est
accompagné par Pier Giorgio Morandi, chef italien régulièrement engagé par
la scène lyrique allemande (Berlin, Dresde, Francfort, etc.) dans le
répertoire péninsulaire. Il dirige ici l’Orchestra dell’Opera di Parma –
rappelons que le musicien est né à Roncole, non loin de Parme [ndr] – qu’il
révèle de fort bonne tenue, notamment en ce qui concerne les bois et un
cantabile irrésistible. N’étaient un Quando le sera al placido (Rodolfo de
Luisa Miller) qui souffre paradoxalement d’aigus trop durs malgré des
attaques d’une suavité délicieuse et le manque de peps orchestral de
certaines plages qu’on aimerait plus sexy, cet enregistrement frôle de peu
l’Anaclase!.
Jonas Kaufmann a gravé là un parcours sympathique des
opéras de Giuseppe Verdi dont il traverse les plus célèbres, avec leurs
inévitables tubes (la galette est inaugurée par La donna è mobile, ce n’est
pas peu dire), tout en proposant le plus rare Giuri ognun questo canuto tiré
d’I masnadieri, moins connu, que le compositeur lui-même créait à Londres en
1847. Peut-être pourra-t-on voir dans la présence de cet air une discrète
rencontre du sud et du nord, témoignant des répertoires visités par le
chanteur, puisque l’œuvre s’inspire de Die Räuber de Schiller, jouée à
Mannheim soixante-cinq ans avant sa mise en musique par le fameux Émilien.
Ce mini-festival Verdi est ouvert par un Duc (Rigoletto) vaillant, de
fière allure vocale, dont le trait conclusif possède parfaitement la
hâblerie attendue. Ah, la paterna mano (Macduff de Macbeth) jouit d’une fine
nuance. Le timbre développe une couleur suave pour Celeste Aida (Radamès
d’Aida) que distille ensuite une conduite très choisie de la dynamique,
jusqu’à la dernière note filée, exquise – autrement dit jusqu’au frisson !
La scène en trio tirée d’Il trovatore gagne un muscle idéal en fosse qui
provoque un Di quella pira bondissant ; Giovanni Gregnanin y est un Ruiz de
bon aloi, de même que le jeune soprano piémontais Erika Grimaldi, honorable
Leonora. L’expressivité de Sento avvampar nell’anima coupe le souffle
(Gabriele de Simon Boccanegra), de même que la douceur extatique d’O tu, che
in seno agli angeli (Alvaro de La forza del destino).
Deux ouvrages
sont illustrés par deux airs chacun. D’Un ballo in maschera l’on appréciera
la belle précision d’impact et le nerf de Di’ tu se fedele dont les
intervalles sont irréprochablement négociés, ainsi que le legato soigné de
Ma se m’è forza perderti (Riccardo) ; et aux voix du Coro del Teatro
Municipale di Piacenza de révéler leur efficacité. C’est dans Otello que
l’orchestre manque d’engagement dramatique, de tension, tout en servant
joliment la partition. Carrément génial dans Dio! mi potevi scagliar, Jonas
Kaufmann (dans le rôle-titre) n’est pas loin de faire pleurer l’auditeur
avec « come sei palide ! E stanca, e muta, e bella » (Niun mi tema), un fort
beau moment, avec le palpitant duo de Don Carlo où l’on retrouve l’excellent
baryton-basse Franco Vassallo (Rodrigue ici, Iago là) qui s’avère grand
complice pour le joyaude ce CD, habile, brillant et habité, avec un Kaufmann
(Carlo) tour à tour tendre et glorieux. Écoutez-le !
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