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cult.news, 3.3.2024 |
par Helene Adam |
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« Parsifal » : un enregistrement prestigieux qui tient toutes ses promesses
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Avec
Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, une distribution étoilée et
l’orchestre de l’Opéra de Vienne sous la direction de Philippe Jordan,
l’intégrale audio de Parsifal, qui sort en ce début de mois de mars sous
le label Sony Classical, comblera tous les mélomanes à la recherche de
performances musicales et vocales exceptionnelles.
Parsifal mis
en scène par Serebrennikov Si Sony nous propose la version audio en
quelque sorte, celle-ci reste étroitement liée à la représentation
unique où elle a été captée. En effet, en 2021, l’Opéra de Vienne monte
Parsifal dans une mise en scène de Kiril Serebrennikov, alors assigné à
résidence à Moscou par le pouvoir poutinien. Le cinéaste russe s’inspire
de cette sorte d’emprisonnement dont il est victime, pour illustrer le
magnifique « festival scénique sacré » (Ein Bühnenweihfestspiel en
allemand), dernière œuvre de Richard Wagner, la plus aboutie, la plus
achevée, la plus mystérieuse et la plus mystique. Montsalvat, le château
des gardiens du Graal, est transposé dans un camp d’internement, où les
prisonniers sont les chevaliers, tandis que le domaine maléfique de
Klingsor, se situe dans les bureaux d’une agence de publicité. Mais là
n’était pas l’essentiel dans la proposition de Serebrennikov : il
s’agissait surtout d’imaginer un Parsifal vieillissant se rappelant de
son incroyable épopée d’alors et pour ce faire, le personnage central
était dédoublé : un jeune acteur mimait les aventures passées, celles
des actes 1 et 2 et le chanteur, en permanence sur scène, se remémorait
les épisodes et n’incarnait directement son rôle qu’à l’acte 3 qui se
déroule des années plus tard. Serebrennikov avait, de surcroit, prévu
une utilisation très astucieuse de vidéos retraçant maints aspects du
périple de l’élu, dont son long voyage errant pour rentrer à Montsalvat
après sa conquête de la lance.
Les nombreuses photos qui
illustrent le très bel album de Sony Classical, témoignent de cette
belle production, que personne n’a pu voir en salle, avec la
distribution de luxe de cette représentation, du fait des restrictions
COVID d’alors, mais qui a été captée par Arte et retransmise en direct.
Il n’avait échappé à personne pour autant, que la qualité
exceptionnelle de la distribution réunie autour de l’orchestre de
l’opéra d’état de Vienne, méritait tous les éloges quelles que soient
les diverses opinions qui s’étaient exprimées à propos de la mise en
scène.
Un CD de prestige, une référence incontournable Et la
sortie de ce CD, confectionné à partir d’une répétition générale et de
cette unique « Première », confirme cette qualité extrême qui ne tient
pas qu’aux magnifiques voix ainsi regroupées, mais aussi au sens du
récit wagnérien qu’elles possèdent toutes et qui donnent tellement de
sens au fait de devoir « se contenter » de l’écoute.
L’orchestre
de l’Opéra d’état de Vienne, dirigé par Philippe Jordan, a ces œuvres
wagnériennes suprêmes dans son ADN, et si son directeur musical est
lui-même rompu à l’exercice, il est clair que les instrumentistes
donnent leur meilleur autour de cette partition de rêve, accompagnant
les chanteurs avec une précision millimétrée sans donner l’impression
pour autant de leur faciliter la tâche. On parlera plutôt de cette
osmose entre voix et instruments qui est l’une des marques de fabrique
de Wagner, particulièrement bien servie dans cet opus. Sans atteindre
les sommets de contrastes et de tensions d’un Kiril Petrenko dirigeant
l’orchestre de l’Opéra de Bavière avec le même Parsifal, Philippe Jordan
donne une belle version du chef-d’œuvre de Wagner.
Tous les
artistes sont de très haut niveau, possédant une technique sans faille,
un souffle inépuisable, une grande souplesse vocale et une ligne de
chant modulable, leur permettant d’exprimer tout autant les spécificités
de leurs personnages que de rendre compte des émotions, des sentiments,
des évolutions de chacun.
Zeppenfeld, Kaufmann, Koch, au sommet
de leur art Il suffit d’écouter le Vospiel qui introduit l’acte 1
suivi du récit de Gurnemanz pour savoir immédiatement que l’on tient là
une lecture idéale de la beauté wagnérienne, chaque phrase chantée par
un Georg Zeppenfeld transfiguré par son rôle, est littéralement portée
par les cordes, ses crescendos, ses intonations, les couleurs de son
chant, sont suivis des thèmes orchestraux de l’acte 1 qui se déploient
avec les mêmes nuances. Soyeux des cordes, douceur des cuivres,
insistance de l’ensemble des instruments pour donner cette étrange
impression très obsessionnelle qui rend tout auditeur attentif, addict à
Parsifal. La basse allemande est actuellement sans doute l’un des
meilleurs interprètes du rôle le plus long, celui de Gurnemanz. Il lui
confère sa part de bienveillance et d’humanité, de sa voix chaude et
grave, il est tout à la fois héroïque et rassurant, le chef et le père,
et personne ne dit aussi bien que lui, avec autant de nuances, le fameux
« Durch Mitleid wissend/ der reine Tor/harre sein/den ich erkor » où il
est question de cette fameuse compassion et d’innocent au cœur pur.
L’acte 3 le retrouve également à son meilleur, dans ses échanges
magnifiques avec Parsifal.
Le Parsifal de Jonas Kaufmann est, lui
aussi, unique et inoubliable. Depuis ses débuts au MET dans ce rôle, il
n’a cessé de l’approfondir, imposant avec toujours plus de subtilités,
la véritable construction d’un personnage, d’abord naïf et ignorant,
puis séduit par Kundry sur l’ordre du maléfique Klingsor, et qui
résistera finalement pour sauver le monde. S’il finit comme héros
glorieux avec ce splendide « Enthullet den Graal, öffnet den Schrein »,
il a un long chemin à parcourir pour atteindre la plénitude. Le ténor a
l’art de nous faire vivre ce véritable parcours initiatique en incarnant
son personnage et en multipliant les nuances, les crescendos, les notes
longuement tenues, les murmures soudains qui succèdent aux « forte »,
valorisant chacune des inflexions de son chant et donnant une
interprétation particulièrement intelligente et, qui par bien des
aspects, sort des sentiers battus. Le timbre s’est encore assombri tout
en restant souverain dans les aigus et sa métamorphose de l’acte 2,
marquée par le célèbre « Amfortas die Wunde », quand il comprend sa
mission et s’arrache à la volupté de Kundry, est si violente, si nette,
si abrupte, qu’elle marque d’un indélébile sceau, le moment le plus «
climax » de l’œuvre.
Si la voix de Wolfgang Koch accuse désormais
quelques menues scories, le baryton sait très bien se servir de ces
quelques raucités pour rendre son Klingsor particulièrement « méchant »
et sa haine et sa colère sont superbement exprimées là aussi par un
wagnérien confirmé. Son « Herauf! Herauf! Zu mir!/Dein Meister ruft
dich, Namenlose » sonne un rien vulgaire comme doit l’être celui qui a
choisi le côté obscur de la force en renonçant à toute tentation.
Dominant la première partie de l’acte 2, il rend très bien compte de la
rupture de style qu’adopte alors Wagner en comparaison avec les longues
phrases musicales des récits de l’acte 1 et de l’acte 3.
Prises
de rôle magistrales d’Elīna Garanča et de Ludovic Tézier Reste dans
cette distribution étoilée à parler des deux « nouveaux ». Car
l’enregistrement nous offre aussi le luxe de deux magistrales prises de
rôle : celle d’Elīna Garanča en Kundry et celle de Ludovic Tézier en
Amfortas.
L’un et l’autre n’ont que peu chanté Wagner. Ludovic
Tézier n’avait précédemment interprété que le Wolfram de Tannhäuser. Il
se destine désormais, après cette expérience totalement concluante, à
l’un des rêves de tout baryton qui possède sa technique, le rôle suprême
de Wotan. Il devrait l’incarner dans le futur Ring à l’Opéra de Paris
dont le premier épisode aura lieu lors de la prochaine saison. Il est un
Amfortas qui exprime sa perpétuelle souffrance en passant de la colère à
la résignation avec une très grande force évocatrice. Sa présence est
intense dès son « Nein! Lass ihn unhenthüllt ! Oh ! Dass keiner, keiner
diese Qual ermisst ». La voix, exercée aux rôles verdiens spinto, s’est
élargie tandis qu’il garde son sublime legato et le met au service du
récit wagnérien avec énormément de talent.
Quant à Elīna Garanča,
elle est stupéfiante dans son incarnation, semblant littéralement se
promener dans ce rôle difficile, aigus ronds et colorés jamais criés,
timbre opulent et beauté des phrases musicales, des notes tenues et des
acrobatiques écarts du rôle comme des cris de bête, des pianis de rêve,
toutes ces nuances qui ne sont permises qu’aux très grands chanteurs et
que nous offre l’ensemble de cette distribution. Les échanges entre
Garança et Kaufmann à l’acte 2 quand elle lui narre ses origines et
tente de le séduire, sont par exemple, un des « musts » de
l’enregistrement (« Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust »).
Luxe à tous les étages On ne compte pas, à l’écoute et à la réécoute,
le nombre de passages divins qu’on a rarement entendus aussi bien « dits
». Car outre leurs très beaux timbres et leur capacité à nuancer, tous
ces chanteurs offrent une prosodie parfaite de l’allemand et on sait à
quel point le « verbe » wagnérien a du sens.
Tout « bruit »
parasite lié à la mise en scène, puisqu’il s’agit d’une performance «
live » a été supprimé de la bande-son et l’absence de public a
certainement facilité ce travail qui apparente le produit à une version
studio. Une telle perfection ne peut d’ailleurs être obtenue en direct
que par des chanteurs de ce niveau et de cette expérience.
N’oublions pas ce qui fait souvent la qualité des maisons d’opéra dotées
de troupes de chanteurs solistes : les rôles secondaires parmi lesquels
ont citera tout particulièrement le beau Titurel de Stefan Cerny, les
belles voix des filles-fleurs, des « Ritter », des « Knaben ». Si l’on
ajoute la beauté et la puissance du Chœur de l’Opéra de Vienne, on est
comblé.
L’entreprise est assez audacieuse puisque le marketing
privilégie la sortie de DVD issus de simples captations vidéo en direct
dans les salles qui organisent de nombreux streamings. Le simple audio
d’intégrales de grandes œuvres d’opéra, jadis très courant, est
désormais assez rare. Il faut de grands noms de stars tels Jonas
Kaufmann pour « vendre » le produit à coup sûr. Félicitons-nous que
celui-ci soit aussi parfaitement réussi et musicalement excitant !
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