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ResMusica, le 18 août 2020 |
par Pierre Degott |
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Otello, pour Kaufmann… et pour les autres
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À
côté de Jonas Kaufmann dans le rôle-titre et des chanteurs tenant les
rôles principaux, Antonio Pappano tire son épingle du jeu à la tête des
forces de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia. Les enregistrements de
studio, finalement, ont du bon…
Cela a été dit et répété, cet
enregistrement réalisé en studio a essentiellement été conçu pour graver
dans la cire l’interprétation du Maure de Venise par Jonas Kaufmann. De
fait, le ténor semble disposer aujourd’hui, à l’aube de la cinquantaine,
de toutes les qualités vocales requises pour rendre justice à ce
personnage complexe. Aux couleurs barytonantes et à la force de l’airain
qui ont fait les grands Otello du passé (Ramon Vinay, Mario del
Monaco…), s’ajoutent de réelles qualités de mezza voce qui permettent au
chanteur, à l’instar de ses prédécesseurs Jon Vickers ou Plácido
Domingo, de détailler et d’approfondir la psychologie de son personnage.
Ce subtil alliage de force et de douceur, cette variété dans la gamme
dynamique et dans la palette des couleurs, nous valent pour les grands
soli – « Dio ! Mi potevi scagliar », « Niun mi tema » – des instants
véritablement bouleversants. On ne citera comme exemple que la dernière
réplique du protagoniste, un « un altro baccio » à faire pleurer les
pierres. Au moment de la réalisation de cet enregistrement, Kaufmann
n’avait à son actif que deux productions de ce chef-d’œuvre de Verdi :
la prise de rôle londonienne sous la direction de Pappano, puis une
série de représentations à Munich sous la direction de Kirill Petrenko.
Tenant compte des moyens vocaux exceptionnels de Kaufmann, gageons qu’à
l’avenir sa lecture de l’un des opéras les plus captivants du répertoire
sera encore peaufinée.
Les chanteurs dont est entouré le ténor
superstar ne sont pas des plus connus, et l’on s’étonne d’ailleurs que
l’on n’ait pas, pour cette réalisation de studio, demandé aux vedettes
du moment de lui donner la réplique. On se réjouira néanmoins d’entendre
le baryton Carlos Álvarez qui possède tout le mordant nécessaire pour
faire, face à Kaufmann, un Iago convaincant, à l’aise dans les
déferlements vocaux du « Credo » comme dans les déclamations et les
insinuations caractérisant d’un bout à l’autre de l’œuvre les
interventions machiavéliques de ce personnage fascinant. Pour beaucoup
d’auditeurs, la Desdemona de la jeune Federica Lombardi sera une
révélation. Tout au long de cet ouvrage d’une rare brutalité, la soprano
déploie toutes les grâces mozartiennes dont son chant est paré, sans
jamais encourir le risque d’être taxée de placidité. Un nom à garder en
mémoire. Les comprimarii retenus pour compléter cet enregistrement ne
brillent pas particulièrement, que ce soit pour leur personnalité
dramatique ou pour leurs qualités vocales. On ne s’en réjouit pas moins
de réentendre, dans un rôle plus développé, le joli timbre du ténor
Liparit Avetisyan, élégant Cassio aux sonorités belcantistes qui devrait
normalement faire parler de lui dans un avenir très proche.
En
dehors de Kaufmann et de ses deux principaux partenaires, l’album
intéresse surtout pour la superbe direction d’Antonio Pappano, lequel
sait détailler comme personne les subtilités orchestrales de l’écriture
du Verdi de la maturité. Brillant dans les grands ensembles – l’orage de
l’acte I, le finale concertant du III –, il se montre encore plus à son
affaire dans les scènes intimistes de l’acte IV, ou dans les pages
mettant en scène les manipulations de Iago. Cette direction éminemment
théâtrale, jouant de la variété des climats pour composer un mouvement
dramatique haletant, semble aller comme un gant aux forces de
l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, qui mettent en valeur comme
rarement les qualités symphoniques de l’écriture de Verdi. Un
enregistrement captivant, donc, qui trouvera sa place à côté des
versions historiques majeures.
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