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Avant Scène Opéra, le 09/05/2018 |
par Chantal Cazaux |
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Otello
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The Verdi Album (Sony, 2013) où il avait fait entendre deux extraits
d’Otello, on attendait la prise de rôle scénique de Jonas Kaufmann.
Elle eut lieu à Londres quatre ans plus tard, faisant suite à une
période d’inquiétude vocale qui rendait l’enjeu d’autant plus
observé. Sans conteste, le timbre ombrageux du ténor allemand est
idéal pour le Maure et sa consomption intérieure. Et en juin 2017,
la performance est évidente : à sa musicalité proverbiale Kaufmann
ajoute une forme vocale indéniable, audible dès l’« Esultate ! » et
plus encore au fur et à mesure d’une soirée (captée d’un seul
tenant, c’est à souligner) qui ne le voit pas faiblir. Parallèlement
à ses qualités habituelles, la voix déploie ici une énergie
rayonnante et magnétique, à même de brosser un portrait complet
d’Otello, entre passion dévorante et fragilité émotive. Le ténor le
plus « intello » du moment laisse libre cours à une spontanéité
animale de guerrier peu psychologue, et le cocktail est explosif.
Or cette vidéo ne détrône pas les références, loin s’en faut.
D’abord parce que l’on sent Kaufmann doublement prudent : d’une
part, il paraît soucieux de ne pas détruire en quelques soirées le
capital soigneusement reconstitué de sa voix (les élans sont donc
calculés : on sent par exemple la double maîtrise du fameux «
Esultate », à la fois prolongé avec panache et constamment « tenu »
comme on tient ferme un licol qui menace de s’arracher) ; d’autre
part – et comme tous ses partenaires –, il a en permanence les yeux
sur le chef, comme si l’osmose fosse-plateau restait précaire ; pire
: on le voit souvent absent entre deux répliques. L’interprète
cherche-t-il à combler les failles de la direction d’acteurs ? Car
elles sont béantes, tout comme celles de la mise en scène de Keith
Warner et de la scénographie qu’elle appelle : idées incongrues (les
quelques stylisations orientales ne font en rien une lecture ni même
une atmosphère), personnages laissés à une présence grossière (Iago
caricatural, Desdemona enlaidie par ses costumes), entiers et sans
épaisseur ; rien n’est neuf ni, surtout, subtil. La belle image
paraît être le seul objectif d’une production qui frôle
l’abstraction décorative (trois couleurs : noir, blanc, rouge, bien
sûr pour le Mal, l’Innocence et le Sang) mais dont le détail
provoque des sourires gênés (la robe de Desdemona au III, ou les
flots de sang qui encombrent jusqu’à Kaufmann pendant la mort
d’Otello…).
Ensuite, Marco Vratogna venait en remplacement de
Ludovic Tézier, évincé de la production par le Royal Opera House en
raison d’un « retard » aux répétitions. C’est peu de dire qu’on perd
au change : le chant ignore superbement tout legato, remplacé par un
ahanement éhonté ; la présence est forcée, ricanante, oublieuse des
zones d’ombre et même de séduction du personnage. Dommage, car de
physique comme de timbre l’interprète pourrait servir Iago tout
autrement. Maria Agresta pose d’autres questions au
spectateur-auditeur : le chant est stylé mais le timbre perd de sa
pulpe – voire de son soutien – dans le bas-médium et dans certains
aigus où l’interprète privilégie la couleur et l’émotion plutôt que
l’homogénéité technique ; l’incarnation est donc tour à tour
touchante ou défaillante, et peu nourrie, comme on l’a dit, par son
existence scénique. En fosse, Pappano paraît prendre un parti
d’énergie et de resserrement de l’action et galvanise son orchestre,
lequel est pourtant très desservi par l’étalonnage sonore de la
vidéo. On reste sur sa faim.
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