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Forum Opera, 13 Octobre 2021 |
Par Claude Jottrand |
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Freudvoll und Leidvoll
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Liszt
n’occupe pas, dans le panthéon des compositeurs de Lieder, la place qui est
dévolue aux plus grands : il n’a ni la spontanéité confondante de Schubert,
ni la profondeur poétique de Schumann, ni le lyrisme intense de Brahms, ni
la concision imaginative de Wolf. Ni quantitativement (guère plus de 80
Lieder), ni qualitativement il ne peut rivaliser avec ses illustres
compétiteurs. Mais son œuvre comprend néanmoins quelques pages
intéressantes, très peu présentes dans les programmes de récital et rarement
enregistrées.
Dès lors, comme il semblait prometteur, ce nouvel
enregistrement de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch ! Un duo de très grand
renom cumulant une longue expérience, et qui avait déjà fait ses preuves
dans le Winterreise de Schubert ou dans un autre enregistrement de Lieder
romantiques intitulé Selige Stunde il y a quelques années, un répertoire
sortant un peu des sentiers battus, des moyens vocaux quasi inégalés, une
parfaite maîtrise pianistique dans le domaine du Lied, tout semblait réuni
pour une réussite compète.
D’où vient alors que l’écoute ne tient pas
toutes les promesses de l’affiche ?
Cela tient peut-être à la
composition même du récital dont le fil, la trame dramatique ou poétique
nous échappe. Le cœur du programme est constitué des trois sonnets de
Pétrarque (en italien, naturellement) que les deux partenaires ont souvent
donnés en concert, qu’ils maîtrisent et qu’ils donnent avec beaucoup de
conviction mais pas toujours avec légèreté. Le choix des pièces qu’ils ont
réunies autour de ce cœur de programme, on n’en perçoit guère la logique ni
la pertinence.
Cela tient peut-être aussi aux grandes disparités de
ton et de caractère que le chanteur met en œuvre d’un Lied à l’autre mais
aussi au sein d’une même pièce, qui rompent l’homogénéité du récital et font
que les numéros s’enchaînent sans parvenir à créer l’atmosphère d’un
véritable Liederabend, sans créer de tension poétique durable. Le sentiment
d’intimité, de chaleureuse communion avec les artistes n’émerge que
sporadiquement, sans cesse mis en péril par l’ampleur des moyens vocaux,
évidemment considérables, mais pas nécessairement adéquats ni dispensés avec
souplesse, et souvent disproportionnés par rapport aux textes ou au propos
musical ; saluons cependant les efforts constants fournis par le pianiste
pour établir et entretenir la trame poétique.
L’entame du disque est
particulièrement étrange, tout en énergie et en force avec de très grands
contrastes – que le texte ne justifie guère – mais peu de distance ou de
second degré, pourtant si précieux chez Heine. On goutera bien, par petites
tranches, quelques réussites ponctuelles, comme Im Rhein, im schönen Strome
et Die Loreley (plages n°5 & 6), avec de belles demi-teintes et une
émouvante transparence vocale, ou Die stille Wasserrose (plage 14),
insuffisantes hélas à sauver l’ensemble.
Il reste bien entendu que la
voix est grande, très grande – mais pas toujours très homogène ni très
précise, que le piano est particulièrement soigné et intelligent, que la
diction est irréprochable. Mais voilà, l’art du Lied est un des plus
difficile, où le chanteur se trouve complètement à découvert, en constante
quête de sens, où il doit porter le son plutôt que se laisser porter par
lui, un art qui demande une très grande souplesse, une grande simplicité de
ton, si différent de l’opéra…
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