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Classique News, 6.10.2018 |
par Lucas Irom |
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CD, critique. JONAS KAUFMANN : AN ITALIAN EVENING
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Timbre
d’airain, contrôlé sur toute la tessiture, avec ce medium désormais
presque barytonant (en particulier dans Cielo e mar de La Gioconda de
Ponchielli, abordé avec une couleur fauve et sombre d’une irrépressible
langueur blessée radicale), … la prestation vocale du bavarois Jonas
Kaufmann répond à nos attentes. Saluons cette ivresse éperdue des héros
marqués par le destin, promis à vivre les élans extatiques amoureux
d’une irrépressible passion… De toute évidence Jonas Kaufmann affirme
ici dans cet exercice de plein air et immergé parmi un public très
nombreux, qui l’acclame à chaque passage vers l’aigu en général très
bien négocié. La présence des spectateurs dans le théâtre à ciel ouvert
de la Waldbuhne de Berlin conditionne tout le dispositif d’un spectacle
qui évidemment heurtera les plus pointus, habitués, nantis des salles
fermées de l’opéra. Mais le genre a besoin de ses grandes messes
populaires et très grand public, pour renforcer ce lien vital entre un
artiste et son public, pour régénérer aussi l’opéra qui sans cela,
serait réservé à une poignée de pseudo spécialistes arrogants et
constipés. D’où la valeur de ce type d’expérience qui a toute sa
place aujourd’hui. D’ailleurs, Jonas Kaufmann n’invente rien : avant
lui, le légendaire Luciano Pavarotti savait élargir l’horizon lyrique,
métissant ses récitals en mêlant les genres et les catégories. Et cela
ne bouleverse personne. Et le succès fut au rendez-vous.
Kaufmann
prolonge donc un exercice qui se cultive en marge du lyrique en salle
(et avec mise en scène), sans empiéter sur ses frontières.
Après
ce Ponchielli solistique d’un lyrisme embrasé a voce sola, voici tout un
cycle théâtral, extrait de la dramaturgie la plus tendue, âpre de
Cavalleria Rusticana de Mascagni, opposant Santuzza et Turiddu, ex
amants ici affrontés car elle ne l’aime plus désormais, ce qu’il
n’accepte pas : un duo mordant, félin là encore, qui se termine comme
chez Bizet (Carmen) par l’assassinat de la jeune femme : pour exprimer
toutes les nuances de cette passion refroidie qui pourtant suscite la
colère hallucinée du ténor, Jonas Kaufmann invite le mezzo onctueux et
charnel de la diva Anita Rachvelishvili, cantatrice qui a précédemment
réalisé un passionnant et inégal récital chez le même éditeur. Les 3
seynettes ainsi restituées, rappellent combien le vérisme est une
écriture chambriste qui met en lumière les affects les plus enfouies des
protagonistes, en général comme ici, des amants éprouvés, détruits
(Turiddu) ou exacerbés, volontaires, libertaires (Santuzza). Bel épisode
de tragédie amoureuse dont Mascagni a le génie et que servent avec une
passion mesurée les deux chanteurs présents à la Waldbuhne de Berlin.
Evidemment, hors de la scène d’un théâtre, et ici en plein air, on
demande des chanteurs de se dépasser, d’oser une nouvelle palette de
sentiments qui se projettent vers le public massé en foule compacte… le
dernier épisode qui commence par le solo Mamma, quel vino è genero,
affirme la qualité du timbre de Kaufmann, brûlé, dévasté, avec ces
richesses harmoniques dont il seul aujourd’hui à posséder l’intensité
musicale. Aucun ténor n’atteint tel prodige expressif : écoutez l’air 14
: “Parla più piano”, version du Parrain par Nino Rota, énoncé avec une
finesse d’intonation d’une … diseur acteur de premier plan. Bluffant.
Ensuite suivent plusieurs tubes et standards déjà enregistrés dans son
précédent récital Dolce vita, de quoi illustrer et coller à sujet de la
thématique de la soirée : An italien evening / une soirée italienne. Et
de passion comme d’italianità, le ténor n’en manque pas (comme Anita
dans le célébrissime air Caruso de Lucio Dalla).
Chacun mesurera
leur latinité passionnelle, – la faculté du ténor en crooner et
séducteur rugissant, envoûtant, captivant…, son charisme halluciné,
fauve là encore, aux couleurs souvent très sombres : se succèdent
parfois sirupeuses les mélodies de Ernesto de Curtis, Giovanni d’Anzi,
Nino Rota… Avouons que dans ces terres pas vraiment lyriques, mais qui
mettent en lumière une voix taillée pour l’incarnation la plus
pathétique, voire théâtreuse, – qui sait – heureusement demeurée
musicale, sensible, presque subtile;, la reprise de l’inusable VOLARE de
Domenico Modugno, avec la soprano Rachvelishvili, est piloté avec tact
et finesse : un très beau duo, tout en complicité, et en empathie avec
le public.
Et pour finir le sublime Nessun dorma chanté par le
prince Calaf dans Turandot de Puccini conclut cette soirée grand public
sous la voûte berlinoise du théâtre en plein air de la Waldbuhne. Le
charme opère, grâce à la généreuse musicalité du plus grand ténor
actuel.
Jochen Rieder pilote le Rundfunk-Sinfonieorchester
Berlin, avec efficacité. Et oeillades, effets de manche… car ici,
exercice oblige, c’est la démonstration et la théâtralité qui comptent
essentiellement. Les puristes évidemment crieront au blasphème. Mais
cela fonctionne. Indéniablement.
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