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On-Magazine, 12 octobre 2022 |
Jean-Pierre Robert |
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CD : deux voix d'or ensemble à l'Opéra
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Peut-on
imaginer voix plus somptueuses de ténor et de baryton pour l'opéra italien
que celles de Jonas Kaufmann et de Ludovic Tézier ! Surfant sur plusieurs
œuvres qui les ont déjà réunis à la scène, ils nous proposent un florilège
de duos empruntés à Verdi, Puccini et Ponchielli. Des moments de pur frisson
vocal, transcendés par la direction incandescente du chef Antonio Pappano.
Il était dans l'ordre des choses qu'ils fassent un disque ensemble.
Depuis Werther en 2010 à l'Opéra Bastille, puis La Forza del destino à celui
de Munich (2013), et Don Carlos, à Paris de nouveau en 2017, on les avait
applaudis devant des performances touchant la perfection. Bons amis,
enthousiastes chacun du talent de l'autre, les voici réunis l'instant de
quelques grands moments d'opéra italien. Car le genre du duo ténor-baryton
connaît à la fin du XIXème une évolution sensible en matière d'esthétique du
chant, vers l'approfondissement dramatique, plus de puissance dans
l'émission, plus d'endurance aussi dans l'expressivité.
On
l'expérimente de manière topique dans ce récital. Après une curieuse entrée
en matière, duo emprunté à La Bohème de Puccini, là où les compères Rodolfo
et Marcello sont plus dans le béat de la jeunesse et des sentiments amoureux
que dans la vindicte qui va caractériser les échanges ténor et baryton dans
les œuvres de Verdi et de Ponchielli. De ce dernier, et sa Gioconda (1876)
qui se place à l'orée du vérisme, le duo met en scène un baryton menaçant,
Barnaba, aux prises avec un ténor, Enzo, partagé entre amour et devoir
militaire. La force vocale domine ici et Ludovic Tézier s'y affirme
formidablement maléfique, alors que Kaufmann se place surtout dans
l'héroïque, là où semble l'avoir conduit la récente fréquentation de Tristan
et d'Otello.
Tout autre univers que celui cultivé par Verdi dans les
trois opéras ici représentés. Le duo de l'acte I des Vêpres Siciliennes,
donné ici dans sa version française d'origine, oppose deux voix tendues tel
du fer rouge, mais parées de legato, sur un orchestre haletant. Tézier a
pour lui la maîtrise de la langue, pas si distincte chez Kaufmann. La fin
furieuse recentre les choses. Le duo du III voit la tension monter jusqu'à
l’ébullition car dans l'introduction en forme de cavatine, Montfort révèle à
Henri qu'il est son père, puis oppose sa puissance, ce qui génère
l'inéluctable confrontation dans les vagues d'un orchestre fulminant. Un
essai de réconciliation, poignant chez le personnage baryton fendant
l'armure, tourne court dans une mélodie enveloppante, magistralement menée
par Antonio Pappano.
Encore plus significatif, la scène et le duo de
l'acte II de Don Carlos ''Le voilà, c'est l'infant''. Là encore le baryton
français brille par sa royale diction et un timbre ténorisant. Le duo, une
des plus belles mélodies fraternelles de tout Verdi, dégage force et
délicatesse, notamment dans la reprise ppp. On se souvient de leur
prestation naguère à l'Opéra de Paris, peut-être plus engagée encore.
Quoique Pappano leur construit ici un écrin orchestral d'une plastique
inouïe. Les trois échanges tirés de La Forza del destino (version milanaise
de 1869) voient la concentration monter d'un cran encore. Au Duettino du
III, les deux voix évoluent dans le médian de leur tessiture, Kaufmann et
ses fameux pianissimos, Tézier et son magistral legato du vrai baryton
Verdi. Lors de la scène et Duetto suivant, sur le champ de bataille, les
deux personnages se rejoignent dans un échange d'abord intimiste, révélation
terrible, lutte et supplication, qui vire en une lutte sans merci. La scène
et le Duetto de l'acte IV sont l'épilogue d'une vindicte assumée,
inéluctable de la part du baryton vengeur qui recherche son ténor ennemi
désormais solide dans sa résolution de ne plus combattre. L'équilibre entre
les deux voix frôle la perfection. Un des moments les plus dramatiques de
l'opéra verdien. Les dernières pages seront enivrantes au tempo prestissime
jugé par Pappano.
À la scène finale de l'acte II d'Otello, Kaufmann
et Tézier sont définitivement chez eux, sous la houlette d'un Pappano on ne
peut plus fougueux. L'air du ténor ''Ora per sempre, Addio'' est glorieux.
Le monologue de Iago ''Era la notte'' offre le fabuleux legato d'un timbre
clair, sans surligner, avec voix en falsetto pour enfoncer le clou sur la
mélodie planante distillant le venin de la jalousie, ultime étape d'un songe
maléfique pour enserrer Otello et lui arracher des larmes d'amour. Enfin, au
duo de vengeance ''Si pel ciel'', les deux partenaires sont d'égal à égal
dans un combat vocal au sommet, sans concession, d'un formidable impact,
qu'enflamme Pappano.
L'enregistrement à l'Auditorium Parco della
Musica à Rome, d'une belle clarté, place la voix de baryton toujours à la
gauche du spectre sonore et celle du ténor centrale, captée de très près. En
général, la balance technique met les voix plutôt à l'avant sans que
l'orchestre ne perde toutefois de son impact.
Texte de Jean-Pierre
Robert
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